Sur les traces de la civilisation minoenne

La civilisation minoenne s’est développée en Crète entre 2700 et 1200 avant J.-C., en plein âge de bronze. Le groupe de recherches Aegis de l’UCL supervise les fouilles du site de Sissi où se trouve l’un des 7 palais minoens découverts à ce jour.    

Tout le monde a entendu parler du roi Minos, du Minotaure, du labyrinthe, d’Ariane et de son fil… Ces mythes, qui ont la Crète pour décor, font partie de l’inconscient collectif. Pourtant, la civilisation minoenne à l’origine de cette mythologie est mal connue. Et pour cause : bien qu’elle ait été l’une des premières civilisations d’Europe à utiliser l’écriture, celle-ci servait surtout à la comptabilité (des troupeaux, des armes, etc.). Aucun « texte » ne décrit la façon dont les Minoens vivaient. « Comment cette société s’organisait-elle sur les plans familial, commercial et politique ? », interroge le Pr Jan Driessen, archéologue et responsable du groupe de recherches Aegis au sein de l'Institut des civilisations, arts et lettres. « Pour le savoir, nous devons étudier les traces matérielles autres que l’écriture : les vestiges architecturaux, les sépultures, les fresques, les outils, les ustensiles, la poterie, etc. »

Des palais sans roi

À cet égard, les « palais » minoens sont de précieux témoins de ce lointain passé. « Ce sont typiquement des bâtiments à cour centrale, comme celui sur lequel nous travaillons à Sissi, au nord de la Crète (www.sarpedon.be) », explique le Pr Driessen. « Notre hypothèse ? Ce palais ne servait pas d’habitat à une seule personne ou à une famille, comme les palais royaux. D’ailleurs, aucun chef ni aucun roi ne sont représentés dans l’iconographie minoenne. Nous pensons plutôt que le palais était un bâtiment public, qui servait à la collectivité. Était-ce le centre d’un pouvoir politique local, juridique, administratif, religieux ou tout cela à la fois ? C’est ce que nous aimerions savoir ! »

Un site archéologique comme Sissi présente un double intérêt. Il est suffisamment petit et local pour, éventuellement, renseigner les chercheurs sur la façon dont les Minoens vivaient « à la campagne ». Mais il est aussi situé à un endroit stratégique. « Sissi marque la limite entre la Crète centrale et la Crète orientale », poursuit le Pr Driessen. « Nous ne sommes qu’à 3 km de Malia, l’une des plus importantes villes minoennes. En étudiant et en comparant les éléments matériels des deux sites, nous pourrions savoir s’ils étaient liés ou indépendants l’un de l’autre. Ce qui nous en apprendrait beaucoup sur la façon dont la région était politiquement et administrativement organisée. » 

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Quand les morts parlent des vivants… ou pas !

Le site de Sissi s’étend sur 3 hectares. Outre le bâtiment à cour centrale qui couvre une superficie de plus de 900m2, les fouilles ont mis au jour un autre bâtiment majeur, de l’époque mycénienne (1) cette fois. Ce bâtiment est composé d’une vingtaine de pièces spacieuses dont 2 pièces à colonnes, un sanctuaire et une nécropole. Les archéologues ont trouvé de nombreux ossements, appartenant à au moins 150 individus. Certains sont en cours d’analyses ADN afin de spécifier s’ils appartiennent aux mêmes familles. Objectif : approcher un peu plus les hommes et les femmes qui composaient la communauté de Sissi.

Contrairement aux Égyptiens qui, à la même époque, vouaient un important culte à la mort (2), les Minoens, eux, n’en faisaient apparemment pas grand cas ! « Ils empilaient leurs défunts et pratiquaient l’inhumation collective », explique le Pr Driessen. « Quand les tombes étaient pleines, ils les “nettoyaient” pour faire de la place ! En plus, à Sissi, alors que les bâtiments ont été occupés jusqu’en 1200 av. J.-C., le cimetière a été abandonné plus de 500 ans plus tôt. Qu’ont-ils fait de leurs morts durant tout ce temps ? Mystère ! En tout cas, la culture minoenne donnait peu d’importance à la mort. Pour eux, c’est la vie qui comptait. Leur architecture en témoigne : leurs bâtiments étaient très bien intégrés à l’environnement naturel. Les espaces étaient ouverts, il y avait du vent, de la lumière… »

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Perspectives de recherche

Sissi est encore loin d’avoir livré tous ses secrets ! Comme la loi grecque n’autorise pas plus de 6 semaines de fouilles par an, en 2016, au terme de la 7e campagne de fouilles, seul un sixième du site a été dégagé.

Le groupe de recherches Aegis de l’UCL et l’École belge d’Athènes supervisent le deuxième quinquennat de fouilles (3), en cours. « Chaque été, nous accueillons entre 80 et 90 chercheurs (archéologues, anthropologues, topographes, architectes, archéozoologues, etc.) venus d’autres universités belges, de Grèce, de France, d’Allemagne, d’Italie, du Royaume-Uni ou encore du Canada », explique le Pr Driessen. « Nous préconisons une approche interdisciplinaire de ces vestiges matériels, car ils nous en apprennent plus sur cette communauté de Sissi et, de là, sur la civilisation minoenne. »

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Candice Leblanc

 

(1) L’époque mycénienne s’étend de 1650 à 1200 av. J.-C. 

(2) Les pyramides en sont le meilleur exemple puisqu’il s’agit de grands tombeaux !

(3) Sissi a fait l’objet d’une première campagne quinquennale de fouilles entre 2007 et 2011, tandis qu’une seconde série de fouilles a repris en 2015 et s’achèvera en 2019.

Les fouilles à Sissi ont été financées par l’UCL, le FNRS, la Fédération Wallonie-Bruxelles, la fondation américaine privée INSTAP, l’École belge d’Athènes et des mécènes privés.

Coup d'oeil sur la bio de Jan Driessen

Jan Driessen

1981               Licence en archéologie à l’Université de Louvain (KULeuven)
1983               Licence en histoire à la KULeuven
1986               Lauréat du Prix Michael Ventris
1989               Doctorat à la KULeuven
1989-93         Postdoctorat à l’École française d’Athènes
1993-99         Postdoctorat à à la KULeuven
Depuis 1999  Professeur à l’UCL
2002-2008    Président du Département d’archéologie et d’histoire de l’art de l’UCL
Depuis 2007  Professeur ordinaire à l’UCL
2008               Fonde l’Institut de Civilisations, Art et Lettres
2009               Lauréat du Prix Compagnie du Bois Sauvage
2012-17         Directeur de l’École belge d’Athènes
2015               Lauréat du Prix Andante Archaeology

 

Publié le 11 décembre 2016