Entre une espérance de vie qui augmente et, simultanément, un taux de natalité en baisse, la durabilité du système des pensions devient une question de plus en plus difficile à résoudre pour les pouvoirs publics. D’autant plus que cette problématique s’inscrit dans des finances publiques en situation délicate… Pour y voir plus clair, des chercheurs de l’UCL se sont réunis au sein d’une Chaire qu’ils ont créée. Sa spécificité : allier les enjeux juridiques aux aspects actuariels des pensions.
La viabilité du régime des pensions s’est imposée au fil du temps comme un défi sociétal majeur. Pour le relever, il est indispensable que les politiques puissent s’appuyer sur des informations, des prévisions et des anticipations fiables. Les instituts de statistiques et les bureaux de prévisions économiques existent et traitent déjà de la question, mais la Chaire Pensions, nouvellement créée au sein de l’UCL, veut aller plus loin dans l’analyse : « Cette idée de Chaire est née de ma rencontre avec Pierre Devolder, de l’Institut de statistique, biostatistique et sciences actuarielles (ISBA) de l’UCL », explique Alexia Autenne, elle-même docteure en droit de l’UCL, spécialisée en droit économique et droit de l’entreprise.
Les limites des spécialistes
Pierre Devolder a participé à la Commission de réforme des pensions, instituée par les ministres De Croo et Laruelle en 2013. Son but était de trouver un système viable pour les années 2020-2040. « ‘Il bénéficie d’une grande expérience dans le domaine actuariel. Quant à moi, je viens du droit des entreprises et dans ce cadre-là, j’ai réalisé des recherches sur les fonds de pensions. J’apporte donc, pour ma part, un regard juridique sur la question de la pérennité du financement des retraites. »
Alexia Autenne est partie d’un constat : les recherches concernant les pensions se heurtent à des écueils, liés aux limites des spécialités. « D’un côté, nous avons des juristes qui sont confrontés à des questions sur le financement à long terme, et de l’autre, des chercheurs qui établissent des prévisions chiffrées, mais qui ont besoin d’informations juridiques claires… » Et c’est l’écueil qu’elle et Pierre Devolder ont voulu surmonter.
Combiner les expériences
« Lorsque nous avons évoqué, Pierre Devolder et moi, la création d’une Chaire, c’est parce que nous pensions que le croisement de nos expériences dans nos domaines respectifs pouvait apporter une réflexion originale, un regard novateur et plus complet de la situation et des perspectives. Cela nous a donc semblé intéressant sur le plan intellectuel d’apporter une nouvelle dynamique de recherche sur l’avenir du financement des pensions qui combinerait les aspects ‘chiffres’ et le point de vue réglementaires ». Cette Chaire des Pensions de l’UCL a été inaugurée en 2014, grâce à un legs conséquent de Pierre De Merre à différents projets menés par l’Université. « Il est important de ne pas avoir de financement lié à une marque, que ce soit d’un organisme assureur ou d’un fonds de pensions, car nous touchons là à un sujet très sensible », estime Alexia Autenne. La Chaire a vu le jour, après des mois de recherche sur le plan intellectuel ; il s’agissait de construire le projet et lui donner une structure, de réfléchir aux travaux à mener, d’établir les contacts pour la financer. « Notre but était d’engager des chercheurs et grâce à la Fondation Louvain, nous avons pu engager deux chercheurs seniors ainsi qu’une assistante administrative. Nous cherchons encore d’autres sources de financement pour assurer la pérennité de notre Chaire. »
Pourquoi une Chaire ?
Mais pourquoi avoir choisi de créer une Chaire ? « Ce choix est lié au mode de financement, qui est intimement lié à la Fondation Louvain. Si nous avions choisi de créer un centre ou un institut de recherche, nous aurions dû prévoir de l’institutionnaliser. C’était un processus plus lourd et qui est prématuré pour l’instant. Nous avons voulu surtout créer un lieu de rencontre entre les spécialistes des deux horizons, avec un mode de fonctionnement et de financement plus souple. Mais c’est une première étape », précise Alexia Autenne.
Objectif : l’excellence
La Chaire Pensions de l’UCL a trois objectifs. Tout d’abord un objectif scientifique : la production de recherches fondamentales sur les questions de financement des retraites en Belgique et en Europe, dans un cadre d’excellence transdisciplinaire. Ensuite, l’enseignement des matières liées aux pensions, en termes de chiffres (statistiques, prévisions…) et de droit. Les deux titulaires de la Chaire ont mis sur pied un certificat « pensions », ouvert aux universitaires et aux praticiens titulaires d’une expérience dans des domaines concernés. L’inscription se fait sur la base d’un dossier à rentrer avant le 1er février 2016. « Ce sont de nouveaux cours, une première en Belgique. Il y a bien un certificat organisé par la KULeuven, mais axé uniquement sur les aspects proprement juridiques. Nous allons traiter de manière critique les informations réglementaires et financières de la question des pensions, un domaine en pleine évolution », renchérit Alexia Autenne.
Enfin, troisième objectif : les contacts avec la société civile. « Nous souhaitons que cette Chaire soit un lieu de réflexion, à travers des cycles de séminaires mensuels gratuits : les ‘Pension Fridays’. Des orateurs extérieurs liés aux deux univers que nous couvrons y sont invités. »
Conseiller politique ?
Cette initiative pourrait être utile aux décideurs politiques mandatés pour choisir des modalités de financement des pensions et assurer la pérennité du système. « Mais nous ne cherchons pas à être des consultants des pouvoirs publics. Nous voulons prendre de la hauteur, tout en gardant en tête les préoccupations du monde politique. Nous n’allons pas courir derrière l’actualité, mais conserver notre indépendance par rapport aux gouvernements, au patronat, aux syndicats, aux organismes assureurs, etc. Notre vision de la question sera purement scientifique et rigoureuse. Et en cela, les instances impliquées pourront nous demander de faire des propositions, d’effectuer des axes de recherches, mais nous les proposerons en toute indépendance », insiste-t-elle. Ce projet s’inscrit également dans l’expertise que l’UCL souhaite développer et partager, dans le cadre du Louvain4Ageing, sur le vieillissement mis en avant dans les recherches.
Carine Maillard