L’humanité est confrontée à une épidémie sans précédent d’obésité, de diabète et de maladies cardiovasculaires. Les bactéries intestinales et leur dialogue avec le système immunitaire n’y seraient pas étrangers…
Nous avons 100 000 milliards de bactéries dans notre système digestif. Ce microbiote intestinal (autrefois appelé flore intestinale) est indispensable au bon fonctionnement de notre organisme. Il nous permet notamment de digérer les aliments. Mais son rôle ne s’arrête pas là ! « Nous soupçonnons le microbiote intestinal de jouer un rôle fondamental dans l’apparition et le développement de l’obésité et des troubles métaboliques associés : le diabète de type 2 (ou diabète de l’adulte), les troubles cardiovasculaires, etc. », explique le Pr Patrice D. Cani, co-directeur du Groupe de recherche Métabolisme et Nutrition à l’UCL.
Nous ne sommes pas tous égaux face à ces maladies ! Prenons deux personnes du même âge, du même sexe, qui font autant d’exercice physique et se nourrissent de la même façon. L’une va conserver un poids stable alors que l’autre va grossir et/ou développer un diabète de type 2. « Cette différence, qui s’observe également chez de vrais jumeaux, pourrait être due à la composition de leur microbiote et au dialogue permanent que celui-ci entretient avec d’autres systèmes du corps humain. »
Chacun son microbiote !
Le microbiote intestinal est composé de nombreuses familles de bactéries. Elles se retrouvent toutes chez à peu près tout le monde, mais en proportions variables. Selon une série de facteurs (génétique, âge, sexe, alimentation, antécédents médicaux, etc.), chaque microbiote a une composition unique, propre à l’individu. On sait, par exemple, que les obèses et les diabétiques ont un microbiote moins varié que les autres.
Il existerait entre 1000 et 1500 espèces de bactéries. « Dans mon laboratoire, nous nous intéressons beaucoup à “Akkermansia muciniphila” », explique le Pr Cani. « Nous avons découvert que cette bactérie, présente en quantité importante dans le microbiote, semble avoir un effet protecteur contre les troubles métaboliques. Mieux : soumis au même régime hypocalorique, un individu qui a beaucoup d’Akkermansia perdrait plus de graisse viscérale et diminuerait davantage ses facteurs de risque cardiovasculaires que quelqu’un qui en a moins. »
Des sentinelles dans notre ventre
Autre piste de recherches : les liens entre le microbiote et le système immunitaire. Près des trois quarts de nos cellules immunitaires se situent dans la paroi de nos intestins. Elles sont donc en contact direct avec les bactéries intestinales et les composés issus de leur métabolisme (métabolites). Or, certaines sont pathogènes, c’est-à-dire susceptibles de nous rendre malades. Tant que ces « mauvaises » bactéries sont peu nombreuses et se tiennent tranquilles, tout va bien ! Mais si elles viennent à proliférer, elles peuvent provoquer des gastro-entérites, de l’inflammation, de la diarrhée, etc. « Les cellules immunitaires jouent aux sentinelles dans notre intestin ; elles captent les substances et les informations émises par les bactéries et les attaquent si c’est nécessaire ! De leur côté, les bactéries influencent aussi notre système immunitaire. Celui-ci est à la fois inné (présent dès la naissance) et acquis : il évolue et se diversifie en fonction des micro-organismes (bactéries, virus, etc.) auxquels nous sommes confrontés au cours de notre vie. Bref, microbiote et système immunitaire fonctionnent main dans la main et s’influencent l’un l’autre. »
Quel rapport avec l’obésité ? « Nous pensons qu’en modifiant quelque peu le système immunitaire inné dans l’intestin (en améliorant la communication entre certaines bactéries et notre organisme, par exemple), nous pourrions protéger le sujet contre l’obésité et les troubles métaboliques associés. En tout cas, nos expériences en laboratoire vont dans ce sens. »
Microbiote et stockage des graisses
Le Pr Cani s’intéresse également au système endocannabinoïde. De quoi s’agit-il ? « Quasiment toutes nos cellules produisent des lipides bioactifs. Certaines de ces substances ont des effets similaires à celles que l’on trouve dans le cannabis. Elles sont impliquées dans la régulation de l’appétit et de l’inflammation et dans le transit intestinal. Mon hypothèse ? Ce système endocannabinoïde, notamment celui qui se trouve dans le tissu adipeux (graisse), communique lui aussi avec le microbiote. Mieux : les bactéries intestinales seraient capables d’ordonner à ce système de stocker ou de brûler les graisses ! »
Aussi prometteur soit-il, ce domaine d’études en est à ses balbutiements. « Nous commençons seulement à faire le lien entre le microbiote et certaines maladies », rappelle le Pr Cani. « De nombreuses questions restent en suspens. Par exemple, nous sommes loin d’avoir étudié toutes les espèces de bactéries intestinales. 70 à 80 % d’entres elles n’ont même jamais été cultivées ! Par conséquent, personne ne peut dire de quoi se compose un microbiote sain, qui nous protègerait de l’obésité et des troubles métaboliques associés. C’est tout l’enjeu de la recherche fondamentale : essayer de comprendre comment tout cela fonctionne. » Pour, peut-être, découvrir un jour de nouveaux traitements.
Candice Leblanc
Les recherches du Pr Cani sont ou ont été principalement financées par le FNRS, l’Institut WELBIO, l’European Research Council (ERC), le Crédit InBev-Baillet Latour et la Fondation Saint-Luc.
Coup d'oeil sur la bio de Patrice Cani