A travers le projet « Avoir 20 ans en 2015 », 50 adolescents de Belgique, de France, de l’Ile de la Réunion et du Canada ont été suivis durant leur entrée dans l’âge adulte. Chloé Colpé, doctorante à l’UCL active dans le monde du spectacle, a sauté sur l’occasion pour suivre l’itinéraire et le cheminement des 20 Belges, qu’elle rencontre depuis 5 ans.
Les 50 jeunes qui ont participé à cette expérience n’ont pas été pris au hasard : ils ont été choisis par les théâtres co-producteurs des spectacles de Wajdi Mouawad, un « artiste en résidence UCL » pour 2014-2015. Cet auteur, comédien et metteur en scène a voulu partager avec eux une expérience originale. Inspiré par Sophocle, il a accompagné 10 jeunes Namurois, 10 Montois, 10 Nantais, 10 Réunionnais et 10 Montréalais à travers leur vécu d’adolescents, sous le thème inspiré de son spectacle « Incendies » : « Apprends à lire, apprends à écrire, apprends à compter, apprends à parler, apprends à penser ». L’occasion unique pour chacun de ces jeunes de s’interroger sur soi, son vécu, ses expériences, ses doutes, ses douleurs… à travers les voyages.
Chloé Colpé, en plus d’être doctorante à l’Institut Langage et Communications de l’UCL, produit des expositions et des spectacles. Avec l’aide d’UCL Culture, elle a réalisé l’exposition qui a accompagné ce thème, intitulée « Adolescence, la fabrique des héros », qui mettait en lumière les questionnements propres à ces individus en quête d’eux-mêmes. Exposition qui a circulé dans le pays, notamment dans le cadre de Mons 2015, capitale européenne de la Culture. La chercheuse a aussi contribué au film documentaire qui a été tiré des entretiens annuels menés avec ces jeunes. Car le suivi a été régulier au cours des 5 dernières années.
Le voyage forme la jeunesse
C’est justement ce suivi qui lui a permis d’endosser son rôle de chercheuse. « Tous ces adolescents, depuis l’âge de 15 ans, ont été envoyés dans différentes villes qui comptent pour Wajdi Mouawad », explique Chloé Colpé. C’est ainsi qu’ils ont « appris » à lire à Athènes en 2011, à écrire à Lyon en 2012, à compter à Auschwitz en 2013, à parler à Dakar en 2014, mais surtout à penser dans 7 grandes villes en 2015 : Beyrouth, Budapest, Casablanca, Istanbul, Reykjavik, Tirana, Vienne. « Chaque séjour durait une semaine. En fin de parcours, ils se sont tous retrouvés à Athènes, ville de départ, pour raconter leur voyage et donner leur point de vue sur ces cinq années de leur vie. J’interroge ces jeunes chaque année depuis 2011, je les filme pour voir si ce projet les change, influencent leur rapport aux autres – que ce soit envers leur pairs, ou envers leur famille, les adultes en général… – modifie leur identité. En mars 2015, toutes ces entrevues ont été montées en film, d’une durée de 5h30, qui a été diffusé au moment de l’exposition. Celle-ci comportait également une grande carte pour raconter le projet aux adolescents qui la visitaient, et pour présenter la recherche en sciences humaines qui va en découler. » Recherche qui est toujours en cours, le travail d’analyse des expériences des adolescents belges impliqués n’étant lancé qu’à partir de l’été 2016.
Des ados qui se livrent
Dès à présent, Chloé Colpé estime que ce type d’expérience est intéressante à mener auprès d’un public jeune : « Leur parole est très forte ; pourtant elle n’est pas suffisamment récoltée ni écoutée. Dans ce projet, elle est d’autant plus intéressante qu’elle est collectée hors d’un contexte bien précis, habituel, mais avec des questionnements émanant d’une personne qui porte un regard d’artiste. Ils ont accepté de livrer des choses très personnelles et profondes, ouvertement, sur leur famille, l’école, la façon dont ils se sentent, leur avenir… Et tout cela à partir de voyages, de rencontres avec d’autres cultures, d’autres horizons, d’autres histoires. Ils se sont sentis libres de se parler, dans une relation d’égal à égal avec les adultes qui les entouraient. En tant que chercheuse, j’ai dû conserver une distance affective avec eux, tout en faisant preuve d’empathie, de compréhension et je devais me montrer digne de confiance pour recueillir une parole vraie. Il est difficile pour le moment de donner déjà un début d’analyse de ce qui a été dit, mais une grande tendance est néanmoins à retenir : ces jeunes se posent beaucoup de questions existentielles sur la famille et leur avenir. »
Ces adolescents, qui ont aujourd’hui 20 ans, font certes partie de la classe moyenne le plus souvent, mais sont néanmoins très différents, avec des histoires personnelles variées. « Ce qui nous a particulièrement étonnés, c’est le fait qu’aucun des 50 jeunes n’a abandonné l’aventure en cours de route ! »
Pourquoi des héros ?
Mais pourquoi considérer l’adolescence comme une fabrique de héros ? « Cela fait écho à une parole de Mouawad, qui fait référence aux héros de Sophocle : des jeunes intransigeants, qui s’opposent au monde, comme les adolescents. Mais au-delà de ce clin d’œil, l’adolescence est une période difficile et il faut du courage pour l’affronter. La fabrique des héros est le cheminement de la construction de la personnalité de ces jeunes en transition vers l’âge adulte. Même si eux-mêmes ne se considèrent pas comme des héros, ils méritent d’être mis en valeur ! »
Les conclusions de la chercheuse seront disponibles dans les mois qui viennent. Quant à l’exposition, elle a connu un très grand succès tant à Mons qu’à Namur. « Nous aimerions qu’elle puisse continuer à tourner ailleurs en Belgique. Des professeurs et directeurs d’écoles qui sont venus la voir ont fait part de leur intérêt pour une version allégée à organiser dans leur ville. D’autres adolescents pourraient alors venir partager l’expérience de ces jeunes. »
Chloé Colpé tient également à souligner le retour qu’elle a reçu d’adultes qui ont vu les témoignages de ces adolescents : ils ont posé un regard positif et bienveillant sur l’adolescence, capable d’une grande intelligence, de mettre des mots sur des problèmes complexes. De quoi éventuellement aider ceux qui traversent cette période avec plus de difficultés.
Carine Maillard