Un grand nombre des infections contractées à l’hôpital sont liées à la formation de biofilms. Comment se forment ces couches collantes de bactéries à la surface de certains dispositifs médicaux ? Peut-on contrer ce phénomène ? À l’UCL, les nanotechnologies sont utilisées pour répondre à ces questions.
On estime que 7 % des patients hospitalisés contractent une maladie nosocomiale durant leur hospitalisation. Ces infections peuvent être redoutables, surtout lorsque le système immunitaire du patient est affaibli et/ou que la bactérie pathogène en cause résiste aux antibiotiques (1). C’est le cas avec certains types de staphylocoques dorés. En général, ces bactéries, qui se trouvent naturellement à la surface de notre peau et de nos muqueuses, ne sont pas bien méchantes. Elles le deviennent lorsqu’elles pénètrent à l’intérieur de l’organisme via du matériel médical.
Qu’est-ce qu’un biofilm ?
En effet, des bactéries comme le staphylocoque doré sont capables de s’attacher à la surface des dispositifs médicaux (cathéter, biomatériaux, etc.). Elles s’y multiplient et forment ce qu’on appelle des biofilms. Ces communautés multicellulaires peuvent causer des infections nosocomiales particulièrement difficiles à traiter, car les biofilms rendent les bactéries qui les composent encore plus résistantes aux antibiotiques. Ce qui peut entrainer de graves complications pour le patient… D’où l’intérêt d’étudier ces biofilms bactériens afin de trouver des moyens de contrer leur formation.
Un super microscope
En science, une grande partie des connaissances procède de l’observation. Une bactérie étant une cellule, impossible de la voir à l’œil nu : un microscope est nécessaire. Les protéines, c’est encore plus petit ! « La taille d’une protéine se compte en nanomètres, soit un million de fois plus petit qu’un millimètre », précise le Pr Yves Dufrêne, bioingénieur et directeur de recherches FNRS à l’Institut des Sciences de la Vie de l’UCL. « Autant dire que, pendant longtemps, personne n’a pu observer la cellule et ses composants via de tels grossissements. Il a fallu attendre les nanotechnologies et l’invention du microscope à force atomique (AFM), en 1986, pour pouvoir examiner le vivant à l’échelle du nanomètre. » L’équipe du Pr Dufrêne se sert de l’AFM pour étudier des levures et des bactéries, dont le fameux staphylocoque doré. Les chercheurs analysent notamment certaines protéines situées à la surface de la bactérie et responsables de leur fixation sur des tissus humains ou des biomatériaux.
Une protéine qui sert de colle
On estime que 80 % des maladies nosocomiales sont liées à la formation de biofilms. L’équipe du Pr Dufrêne a donc voulu comprendre la première étape de la formation des biofilms : comment les bactéries parviennent-elles à s’accrocher les unes aux autres ?
Grâce à l’AFM, les chercheurs de l’UCL, en collaboration avec des confrères irlandais et italiens, ont découvert le rôle joué par une protéine en particulier, située à la surface du staphylocoque doré : SasG. « Quand elle se trouve en présence de zinc, SasG se comporte un peu comme un point de colle, une minibande velcro qui s’attache au velcro des bactéries voisines. De fil en aiguille, ces bactéries forment la communauté bactérienne à l’origine des biofilms. »
Vers des traitements antiadhésifs ?
Cette découverte a fait l’objet d’un article dans une prestigieuse revue scientifique américaine (2). Surtout, elle ouvre la voie à de possibles thérapies antiadhésion. « Si nous trouvions une molécule capable d’empêcher SasG de coller (3), nous empêcherions les bactéries de s’agréger les unes aux autres et, donc, de former des biofilms. De telles substances antiadhésives existent. Par exemple, le jus de canneberge est connu pour prévenir les cystites, car il contiendrait une substance qui empêche E. Coli, la bactérie responsable de ces infections urinaires, de coller à la paroi de l’urètre et de la vessie. C’est donc possible ! »
Dans cette optique, les AFM et la nanoscopie du vivant pourraient permettre de tester et de sélectionner les molécules antiadhésives les plus performantes. « À terme », espère le Pr Dufrêne, « peut-être pourrons-nous mettre au point des traitements préventifs qui empêcheraient la formation de biofilms et/ou qui complèteraient l’arsenal antibiotique en cas d’infection bactérienne. »
Candice Leblanc
(1) Voir article sur l’antibiorésistance (lien hypertexte ?) (2) C. Formosa-Dague et al., « Zinc-dependent mechanical properties of Staphylococcus aureus biofilm-forming surface protein SasG », PNAS, 2015. (3) SasG n’est pas la seule cible des chercheurs. En tout, au moins une dizaine de protéines sont responsables de la formation de biofilms par le staphylocoque doré. Les recherches du Pr Dufrêne sont principalement financées par le FNRS, l’UCL, le programme WELBIO et l’ERC.