La quantité d'eau qui retourne dans l'atmosphère à partir d'un couvert végétal est désormais mesurable ! La méthode a été mise au point avec la contribution de chercheurs de l'UCL. Une avancée majeure dans le domaine puisque connaître ce paramètre est primordial pour la gestion des ressources.
« Dommage qu'il n'existe pas de Prix Nobel pour les sciences de l'environnement... », sourit Marnik Vanclooster, professeur et chercheur à l'Earth and Life Institute de l'UCL, laboratoire qui étudie les problématiques liées à l'eau et au sol. C'est sûr, les recherches menées avec l'Observatoire Royal de Belgique et d'autres partenaires belges et français sont particulièrement innovantes en matière d'hydrologie. Elles permettent notamment d'estimer de manière précise les variations de pesanteur causées par la transpiration des arbres. C'est une première mondiale : jamais ce phénomène n'avait pu être mesuré à cette échelle de manière directe auparavant. Or le connaître est primordial pour la gestion des écosystèmes et des ressources en eau, et indispensable pour la modélisation des climats.
« La question de l'évapotranspiration entre dans le cadre de la problématique de l'eau, qui reste majeure à l'échelle planétaire, précise Marnik Vanclooster. Dans certaines régions, on constate un manque de disponibilités en eau douce. Ce manque crée des problèmes majeurs en terme d'économie ou de politique, générant par exemple des flux migratoires de personnes qui veulent vivre ailleurs. C'est le résultat d'une crise de l'eau qu'il ne faut pas minimiser. Le système de mesure que nous avons mis en place a des potentialités très importantes. Si on va plus loin, il pourrait donner une méthodologie pour diminuer les incertitudes dans la quantification de la ressource en eau. Ces informations peuvent nous permettre de comprendre comment l'eau circule dans la masse poreuse de la croûte terrestre et varie en fonction des espaces, et donc d'améliorer la caractérisation des flux hydrauliques. Plus largement, on aurait une meilleure connaissance des ressources disponibles ».
Une masse différente avant et après
Concrètement, les sols et les arbres relâchent par évaporation et transpiration une quantité d'eau importante dans l'atmosphère lors des journées d'été ensoleillées. Ce processus, qui se nomme évapotranspiration, s'accroît au fur et à mesure que s'élève le soleil pour atteindre son maximum à midi et diminue au fil de la journée. Les mesures de la pesanteur permettent de quantifier le phénomène.
« Mesurer l'évapotranspiration est quelque chose de compliqué, constate Marnik Vanclooster. On sait le faire facilement avec un bidon d'eau : il suffit de le peser avant et après. Si la masse diminue, cela signifie qu'il y a eu évapotranspiration. Mais à très grande échelle, c'est presque impossible. »
Le processus d'évapotranspiration est bien connu des hydrologues et climatologues. Aucune méthode ne permettait pourtant jusque-là de le mesurer de manière directe, à une échelle spatiale importante. La majorité des systèmes utilisés se basaient plutôt sur des modèles ou sur l'observation d'images satellites. Des techniques dès lors indirectes et incertaines. « La méthode que nous avons mise au point permet de calibrer ces hypothèses, souligne le chercheur. Nous avons réfléchi à un système pour mesurer la masse de la Terre. Et nous avons trouvé un moyen : observer le signal gravimétrique, en général utilisé pour faire des analyses tectoniques, et étudier les données différemment. En observant des résultats, nous avons pu analyser les variations de masse dues à l'évapotranspiration. »
Sous la forêt de Membach
Chaque arbre rejette ainsi des centaines de litres d'eau dans l'atmosphère. C'est cette perte de masse que l'étude a pu mesurer à l'aide d'un gravimètre à supraconductivité à la station géophysique de Membach, près d'Eupen. « Ce gravimètre est placé dans la vallée de la Vesdre, dans un tunnel à 50 mètres sous la surface du sol, en-dessous d'une forêt. Il s'agit d'un capteur qui permet de mesurer la tectonique en Ardenne depuis des années, mais nous avons voulu analyser les données autrement. Nous avons pu évaluer la masse de la surface terrestre qui le surplombe grâce aux variations de la pesanteur ». Les variations de l'accélération de la pesanteur qui ont été estimées sont inférieures au nanomètre par seconde au carré, ou autrement dit au dixième de milliardième de g (en sachant que la pesanteur g = 9.81 m/s²).
En analysant les données récoltées, les chercheurs ont découvert qu'en moyenne, la forêt qui surplombe la station de Membach rejette dans l'atmosphère l'équivalent de 1,7 litre d'eau par mètre carré chaque jour ensoleillé de juin.
Cette étude est le fruit d'une collaboration entre l'Observatoire Royal de Belgique et les universités de Louvain-la-Neuve, Liège, Mons, La Rochelle, Paris Diderot et l'Institut National de l'Information Géographique et Forestière français (IGN). Elle a fait l'objet d'un article dans la très renommée revue américaine Geophysical Research Letters.
Les recherches, entamées il y a une douzaine d'années, vont se poursuivre dans le futur, notamment grâce à l'installation de capteurs supplémentaires. Un gravimètre devrait entre autres être implanté dans les grottes de Rochefort. En parallèle, un chercheur basé à l'UCL continuera à travailler sur ce type de problèmes afin d'améliorer l'interprétation des données obtenues par les appareils de mesure.
Anne-Catherine De Bast
Coup d'oeil sur la bio de Marnik Vanclooster
Marnik Vanclooster est professeur et chercheur à l'Université catholique de Louvain. Il a réalisé un doctorat dans le domaine de la physique du sol et développe des projets de recherche dans le domaine de l'hydrologie agricole et hydrologie des milieux non-saturés. La thématique de recherche de son équipe porte sur la caractérisation et modélisation des écoulements de l'eau et de la matière qui l'accompagne dans les milieux géologiques non-saturés. Il a 20 années d'expérience dans la coordination et l'exécution des projets au niveau national, européen et ailleurs, en particulier dans le Maghreb et en Afrique centrale. Il est président du Pôle des Sciences de l'Environnement du Earth and Life Institute. Il a été président élu de la division « Vadose Zone Sciences » au European Geophysical Union (2011-2013), président élu de la Commission belge pour l'UNESCO – Programme hydrologique International. Il a été membre du comité de lecture du « Journal of Hydrology » et de « Vadose Zone Journal » et membre actuel du comité de lecture d'« Agricultural Water Management » et « Hydrology and Earth Sciences Systems Journal (HESS) ».