Xylowatt inaugure le 24 novembre un gazogène sur le site du CHU UCL Namur. Il alimentera l’hôpital en chaleur et en électricité à partir de biomasse. Une retombée directe des recherches menées depuis plus de 20 ans au sein de l’Ecole Polytechnique de Louvain.
Lorsque, en 2001, il a fallu nommer la jeune spin-off issue des recherches du Professeur Martin et de son équipe, un nom s’est vite imposé : Xylowatt. Watt comme l’unité de puissance ou de flux énergétique et xylo le préfixe faisant référence au bois. Un raccourci qui résume bien l’objet de la société, créer de l’énergie utilisable à partir de biomasse, principalement du bois. Mais quel type d’énergie et comment y parvenir ? « J’étais chercheur à l’UCL dans l’équipe du professeur Martin dans les années 1990, se souvient Frédéric Bourgois, un des co-fondateurs de la société ; je travaillais sur les procédés de gazéification. Mais notre but n’était pas seulement scientifique, nous voulions avoir un impact économique et environnemental. Nous avons développé notre technologie pendant 7 ans avant de créer Xylowatt. Par la suite, nous avons continué à travailler sur les deux aspects : la recherche à l’université et le développement industriel dans la société. »
Le bois est un combustible intéressant puisqu’il est abondant et localement disponible ; c’est donc une source d’énergie non négligeable. Il a cependant un inconvénient majeur : il est solide, ce qui limite les domaines d’application directe. Difficile en effet de l’utiliser pour alimenter un moteur. « L’intérêt de la gazéification, explique Hervé Jeanmart, Professeur à l’Ecole Polytechnique de Louvain (EPL) et membre de l’iMMC (Institute of Mechanics, Materials, and Civil engineering), est de convertir la biomasse solide en gaz. L’opération de conversion en tant que telle a un bon rendement : le gaz produit contient une quantité d’énergie quasi similaire à celle du bois. C’est donc une opération énergétiquement neutre, réalisée depuis longtemps à partir du charbon pour produire ce qu’on appelait le gaz de ville, originellement utilisé pour l’éclairage des rues. Mais la transformation est plus complexe à partir du bois ».
Sans goudron
Le bois est composé de chaînes de cellulose et de lignine ou, en termes chimiques, de carbone (environ 50%), d’oxygène (42%), d’hydrogène (6%), d’azote et de minéraux. Pour comprendre l’origine des goudrons, la combustion dans un poêle est un bon point de départ. Brûler une bûche dans sa cheminée revient à casser ces chaînes et produire des gaz, ce qui se fait en plusieurs étapes : il se décompose tout d’abord sous l’action de la chaleur (pyrolyse - grandes flammes sur la bûche), ce qui libère les composés gazeux tandis que la bûche devient du charbon de bois ; ensuite, grâce à l’apport d’oxygène, gaz et charbon de bois brûlent (combustion - il y a moins de flammes mais la chaleur est plus intense). L’énergie émise (la chaleur ressentie) provient à la fois de la combustion des gaz de pyrolyse et de la combustion du charbon de bois. Avec un problème : lorsque la combustion des produits de pyrolyse n’est pas parfaite, elle s’accompagne de la production de goudrons… qui se déposent dans les conduits et sont à la base des feux de cheminée ! Une présence polluante qui est loin d’être anecdotique : les goudrons peuvent représenter jusqu’à 50% de la masse initiale de matière sèche. Des goudrons qu’il va donc falloir détruire dans le cas de la gazéification pour obtenir un gaz propre.
« Xylowatt a développé le procédé Notar, dont le nom (no tar, sans goudron) est explicite, raconte Frédéric Bourgois. Pour cela, nous avons séparé physiquement dans le réacteur les étapes de pyrolyse, de combustion et de réduction des produits de combustion avec le carbone. C’est ce qui différencie Xylowatt d’autres sociétés de construction de chaudières de gazéification. » Concrètement, dans la zone de pyrolyse, le bois se décompose en matières volatiles (gaz de pyrolyse de type CHyOx) et en charbon de bois (C). Dans la deuxième partie du gazogène, la zone de combustion ou d’oxydation, de l’air est injecté pour oxyder ces gaz en CO2 et H2O. Les goudrons y sont complètement détruits. Enfin, dans la troisième partie, celle de réduction, le charbon de bois incandescent réagit avec les produits de combustion de la phase précédente (CO2 et H2O) pour produire de l’hydrogène (H2) et du monoxyde de carbone (CO) : le bois est devenu gaz !
Tri-génération
La chaudière du CHU UCL Namur est à ce jour la plus puissante construite par Xylowatt. Elle alimentera un système de tri-génération, le premier du genre : production d’électricité, de chaleur et de froid. Dans un premier temps cependant, seules l’électricité et la chaleur seront produites. Les gaz produits par le procédé Notar (le syngaz comme on l’appelle ou « gaz synthétique ») alimente un moteur à gaz qui va produire l’électricité et l’eau chaude. Le puissance du syngaz est d’environ 2MW ; la puissance électrique est d’environ 620 kW et celle de chaleur 1,1 MW. De quoi satisfaire les besoins de l’hôpital, du moins hors pics exceptionnels. Mais les concepteurs ont voulu aller plus loin : profiter du besoin réduit de chaleur en été pour produire du froid alimentant les système de climatisation (avec une puissance de 680 kW). L’hôpital universitaire sera ainsi unique en son genre.
« Dans ce projet industriel, constate le professeur Hervé Jeanmart, l’université est logiquement peu impliquée au niveau recherche. Mais nous continuons bien sûr à travailler sur les procédés de conversion thermochimique de biomasse au sens large. Nous essayons d’améliorer la technologie dans différentes directions. La première est le gisement de bois. On teste des biomasses de qualité de plus en plus faible, comme des déchets, de la biomasse riche en cendres, des pailles, des boues d’épuration, etc.). Ces biomasses ont un intérêt économique car elles sont de moindre valeur. Nous cherchons aussi à améliorer la phase de pyrolyse qui peut encore poser des problèmes en cas de modification de certains paramètres comme le degré d’humidité de la biomasse. Enfin, nous travaillons dans des pays d’Afrique subsaharienne pour développer avec eux des technologies de gazéification pouvant être fabriquées localement. »
Au Burkina Faso
L’équipe du professeur Jeanmart et Frédéric Bourgois, collaborateur scientifique pour ce projet, viennent en effet d’entamer un programme de 5 ans au Burkina Faso. Le but ? Produire de la… chaleur, ce qui peut paraître a priori paradoxal dans un pays chaud ! Et pourquoi passer par la production de gaz et non brûler directement la biomasse disponible pour produire la chaleur? Parce que le but est d’utiliser des résidus agricoles, notamment la balle de riz difficile à brûler proprement dans une chaudière. Et la chaleur produite sera utilisée dans des procédés agro-alimentaires, notamment le traitement du riz qui doit être ébouillanté avant d’être vendu, ou des installations de séchage, nécessaires pour la conservation des aliments. « Et tout cela doit être réalisé dans une optique de durabilité, insiste le professeur Jeanmart : tout doit pouvoir être construit et entretenu localement. C’est aussi pour cela que nous commençons par la production de chaleur et non d’électricité. Celle-ci viendra dans un second temps mais elle est plus complexe à mettre en œuvre ; en outre, il faut des réseaux de distribution associés qui font défaut pour le moment. » Un programme qui doit beaucoup à la Coopération universitaire pour le développement (ARES-CCD).
Henri Dupuis.
Coup d’œil sur la bio de Frédéric Bourgois
1990 UCL - Ingénieur civil mécanicien – orientation énergie
1990 -1991 UCL – Faculté de Sciences Appliquées– chercheur – Modélisation de la gazéification souterraine
1992 -1994 INSTITUT BURKINABÉ DE L’ENERGIE (Burkina Faso) – Chargé de recherches
1994 -1995 UCL – Faculté Sciences Appliquées - Responsable étude avant-projet de gazéification de saule
1995 -2001 UCL – Faculté Sciences Appliquées - chef de projet « TtCR-gazel » (projet interuniversitaire de gazéification de bois de taillis
de saule) ; chef de projet « REGAL » (développement d’une unité cogénération par gazéification)
2001 -2014 XYLOWATT sa
2007 -2014 Administrateur de Inter Environnement Wallonie, fédération des associations environnementales wallonnes
Depuis 2015 UCL – Ecole Polytechnique de Louvain – Collaborateur scientifique
Depuis 2015 COOPEOS scrl – Fondateur et administrateur délégué de la coopérative Coopeos dont l’objet est le développement de la
biomasse énergie dans le cadre du développement durable
Coup d’œil sur la bio d'Hervé Jeanmart
1991-1996 UCL- Ingénieur civil mécanicien
1996-2002 UCL – assistant-doctorant, département de mécanique
2002- 2003 ITLR (Institut für Thermodynamik der Luft-und Raumfahrt, Stuttgart), chercheur post-doctorant
2004 UCL – chercheur post-doctorant
Depuis 2004 UCL – Professeur à l’Ecole Polytechnique de Louvain
Depuis 2008 Responsable pour les sciences exactes de la coopération avec l’université de Kinshasa
Depuis 2013 ICHEC (Brussels Management School), Professeur d’énergétique
Depuis 2016 UCL – Vice-Président de l’iMMC (institute for Mechanics, Materials ans Civil engineering)