Émile Van Schaftingen et Guido Bommer, chercheurs à l’Institut De Duve, ont récemment découvert le rôle joué par des enzymes impliquées dans le métabolisme des sucres. Leur dysfonctionnement serait responsable de certaines maladies métaboliques.
Une cellule doit fabriquer ses propres constituants pour vivre, fonctionner ou encore se reproduire. Pour cela, elle a besoin de carburant : les sucres. Mais les sucres ne peuvent pas être utilisés tels quels par la cellule : ils doivent d’abord être transformés, métabolisés. « Le glucose, par exemple, peut se transformer en une centaine de substances différentes », explique Émile Van Schaftingen, professeur de biochimie à l’UCL. « Ce métabolisme des sucres n’est possible que grâce aux enzymes, des substances qui sont présentes par milliers dans chaque cellule. »
Des enzymes « camions poubelles »
En théorie, chaque enzyme a une fonction bien précise et permet une réaction chimique spécifique. « Mais dans la pratique, les enzymes ne font pas toujours uniquement ce qu’elles sont censées faire ! », explique le Pr Van Schaftingen. « Elles ont des “ratés”, des microactivités annexes qui produisent des déchets. » Or, quand des déchets inutilisés s’accumulent dans une cellule, cela finit par provoquer des problèmes… Heureusement, la nature est bien faite ! « Nous avons découvert une série d’enzymes “camions poubelles”. Leur rôle : évacuer ou, au moins, recycler, transformer les déchets en des substances que la cellule peut quand même utiliser. »
Le Pr Van Schaftingen et son collègue le Pr Guido Bommer ont notamment découvert une enzyme capable d’éliminer 2 types de déchets différents formés au cours du métabolisme du sucre (1). Sans elle, l’accumulation de ces déchets perturberait gravement le métabolisme des sucres dans nos cellules. « Même si nous ne l’avons pas encore identifiée, il existe probablement une maladie métabolique où, justement, cette enzyme “camion poubelle” est déficiente. »
Quand ça ne colle pas…
En effet, il suffit qu’une enzyme soit déficiente (à cause d’une mutation génétique) pour provoquer une maladie métabolique. « Nous étions notamment confrontés à 3 maladies neuromusculaires dans lesquelles nous ne comprenions pas ce qui clochait », raconte le Pr Guido Bommer, chercheur à l’Institut de Duve. « Or, nous avons découvert que dans chaque maladie, une enzyme déficiente empêchait une certaine protéine de faire correctement son travail. » En quoi consistait ce travail ?
Il existe environ 30 000 types de protéines dans nos cellules. L’une d’elles, le dystroglycan, est une sorte de colle qui arrime nos fibres musculaires les unes aux autres. Sans elle, c’est bien simple, nos muscles ne pourraient pas fonctionner ! « La protéine dystroglycan a la particularité d’être couverte d’une douzaine de types de sucres », poursuit le Pr Bommer. « L’ensemble de ces sucres permet au dystroglycan de jouer son rôle de colle entre les fibres musculaires. Nous avons trouvé un nouveau sucre, le ribitol, qui participe à cet édifice. Et comment ce sucre est-il fixé sur le dystroglycan ? Grâce à 3 enzymes qui collaborent pour le fixer ! Or, dans chacune des 3 maladies étudiées, une des 3 enzymes en question ne fonctionne pas bien. Résultat : le ribitol ne se fixe pas assez à la protéine qui, par conséquent, ne peut pas faire correctement son travail de collage… Cette déficience enzymatique affecte gravement tout le système musculaire des patients. » (2)
De la découverte au traitement médical
Le métabolisme des sucres (glycolyse) est la première voie métabolique à avoir été découverte. C’est aussi la première à être enseignée aux étudiants en médecine. Y découvrir quelque chose de nouveau est donc prestigieux ! Mais au-delà du prestige, étudier les mécanismes du « bio-engeneering », l’ingénierie à l’œuvre dans la nature, peut aussi avoir un intérêt médical. « Les maladies métaboliques sont directement causées par des déficiences enzymatiques », rappelle le Pr Van Schaftingen. « Dès que vous avez identifié l’enzyme déficiente et la fonction qu’elle est censée avoir, cela ouvre la porte à de nouveaux traitements. » En effet, dans certains cas, il suffit d’injecter au patient ou d’ajouter dans son alimentation une dose suffisante de l’enzyme qui manque. Ces traitements ne guérissent pas forcément la maladie métabolique, mais ils peuvent parfois diminuer, voire supprimer complètement les symptômes.
Candice Leblanc
(1) Cette découverte a fait l’objet d’une publication dans Nature Chemical Biology en août 2016. (2) Cette découverte a fait l’objet d’une publication dans Nature Communications en mai 2016. Les recherches des Prs Van Schaftingen et Bommer ont été principalement financées par WELBIO, le FNRS, l’UCL, la Fondation contre le Cancer et le mécénat de l’Institut De Duve.
Coup d'oeil sur la bio d'Émile Van Schaftingen
1978 | Diplôme de docteur en médecine (UCL) |
1978-1985 | Thèse d’agrégation à l’Institut de Duve (UCL) |
1985-1995 | Chercheur qualifié du FNRS |
1986-1987 | Postdoctorat au National Institutes of Health (Bethesda, Maryland, USA) |
Depuis 1987 | Direction d’un groupe de recherche au sein de l’Institut de Duve |
1992 | Lauréat du Prix Minkowski |
Depuis 1995 | Professeur de biochimie à la Faculté de médecine de l’UCL |
2003 | Lauréat du Prix van Gysel |
Depuis 2004 | Directeur de l’Institut de Duve AISBL |
CV express de Guido Bommer
2001 | Diplôme de médecine à l’université de Munich (Allemagne) |
2001-2004 | Exerce la médecine à Munich |
2004-2008 | Chercheur à l’université du Michigan (USA) |
2009 | Doctorat en Sciences biomédicales (UCL) |
Depuis 2009 | Dirige un groupe de recherches à l’Institut De Duve |
Depuis 2011 | Chercheur qualifié FNRS et chargé de cours à l’UCL |