Les adolescents ne sont pas à l’abri de la déprime, voire de la dépression. Avant d’en arriver là, certains chercheurs font le pari de la pleine conscience (appelée aussi mindfulness) pour contribuer à la prévenir, et notamment à l’UCL, véritable pionnière en matière de pleine conscience chez les plus jeunes. Parmi eux, le Pr Pierre Philippot, chercheur à l’Institut de recherche en sciences psychologiques.
Bon nombre d’adultes s’en souviennent comme de la plus belle période de leur vie. Ca, c’est avec le recul. Car ils ont oublié qu’en plus des changements hormonaux, l’adolescence nous confronte à une quête de nous-mêmes, une pression importante quant aux études et l’avenir professionnel. Les ados découvrent les risques de la vie dont les substances et les conduites parfois dangereuses. Bref, ils sont pris dans un tourbillon, que certains ne se sentent pas capables d’affronter ; ceux-là peuvent sombrer dans la morosité, le doute, voire la dépression.
A l’UCL, plusieurs chercheurs souhaitent exploiter une piste longtemps réservée aux adultes : la pleine conscience. Le Pr Pierre Philippot, du Laboratoire de Psychopathologie expérimentale (Institut de recherche en Sciences psychologiques) est spécialisé dans la régulation des émotions dans le cas de troubles dépressifs. En collaboration avec le Dr Sandrine Deplus et avec le soutien de la fondation HuoShen, ils ont lancé à l’UCL des ateliers de pleine conscience pour les adolescents. Cette expérience a fait l’objet de deux études qui ont démontré l’effet bénéfique de cette technique pour réguler leurs troubles anxieux et dépressifs.
Réfléchir à soi
Beaucoup de jeunes sont-ils concernés par ce « coup de blues » plus ou moins profond ? « Les chiffres dont on dispose se basent sur les consultations. Or, les jeunes ne sont pas enclins à consulter », précise le Pr Philippot. « Cependant, on constate une recrudescence de la prévalence des troubles des émotions chez les adolescents depuis la Seconde Guerre mondiale : à la fois des troubles anxieux et dépressifs. Non seulement parce qu’ils sont davantage répertoriés, vu qu’ils sont moins ignorés, mais aussi parce que l’on assiste à une dégradation des liens sociaux immédiats. Alors que les possibilités de libertés individuelles se multiplient, la pression augmente face à ces questionnements. A cela s’ajoute une base génétique qui peut entraver la régulation émotionnelle. »
Le Pr Philippot fait confiance en la capacité des jeunes de réfléchir sur eux-mêmes et leur environnement, d’être à l’écoute de leur corps, de leurs besoins. « L’adolescence est une période clé car c’est à ce moment que l’on assiste à l’épanouissement de la capacité à prendre conscience de soi et à réfléchir sur soi. »
C’est pourquoi la pleine conscience est un outil intéressant dès cet âge. Et cela pourrait même éviter de prendre des antidépresseurs, qui ne sont pas idéaux par rapport à la période de développement cérébral cruciale que connaît l’adolescence !
Deux axes de recherche
Des adolescents qui sont bien souvent dans l’immédiateté (des relations, des plaisirs, des sensations, des événements…) ont tout à gagner à « se poser » et prendre la mesure de leurs émotions. Deux études ont été menées très récemment sur les effets positifs de la pleine conscience chez les ados. « Dans la première, notre équipe a mené des entrainements à la pleine conscience chez des adolescents, pour les aider à mobiliser leur capacité à entrer en relation avec soi, leur capacité à être attentifs aux processus automatiques qui guident leurs pensées et les aider à s’en dégager pour porter leur attention sur autre chose : une partie du corps, la respiration… Nous avons vu que cette technique permet de diminuer certaines réactions aux émotions qui ont tendance à augmenter l’anxiété et la dépression, qui de ce même coup diminuent également. Cette étude a porté tant sur des jeunes qui consultaient à l’UCL que sur des ados placés en SRJ (Services résidentiels de la Jeunesse). Alors que les premiers provenaient de la classe moyenne à supérieure, les seconds présentent des troubles du comportement associés à un déficit cognitif (QI bas, par exemple) et n’ont généralement pas bénéficié d’un cadre familial favorable ; il s’agit d’une population impulsive, qui bénéficie de très peu de conscience émotionnelle. »
Gage de réussite de ce type d’étude : la participation volontaire à ce programme. Et les premiers résultats montrent une réduction significative des troubles anxieux dans le premier groupe, et de l’impulsivité dans le second groupe. Débutée il y a trois ans, cette étude est toujours en cours.
Se détourner de l’anxiété
L’autre étude, menée depuis un an et demi s’intéresse aux processus mentaux et cognitifs. Elle vise à identifier ceux qui sont favorables au contrôle de l’attention. Le but étant d’inhiber l’information non pertinente, s’en détacher et ainsi améliorer sa mémoire de travail. « Ces processus sont en jeu dans l’anxiété qui mène à la rumination, donc à la dépression », explique Pierre Philippot. Une troisième étude qui va être bientôt lancée va s’attacher à voir si, en trouvant des techniques ludiques pour entraîner les processus dans un sens positif, les jeunes arriveront à les utiliser pour réduire la rumination.
C’est par ces différentes voies encourageantes qu’il pourrait être possible de permettre à certains jeunes de ne pas se laisser envahir par l’anxiété, au point de développer des troubles dépressifs. « La pleine conscience n’est cependant pas un remède miracle ! Mais si elle présente un effet, si elle peut fonctionner même dans les milieux difficiles comme en SRJ, il n’est pas utopique de penser qu’elle pourrait être utile à une population qui en a besoin. Elle peut alors essaimer, si l’on dispose du personnel bien formé et des structures de prise en charge. Tout en faisant attention au fait qu’un type d’intervention peut convenir à certains et pas du tout à d’autres ! »
Il précise également qu’en cas de dépression avérée, il faut une intervention prioritaire plus efficace. Même si des résultats de la pleine conscience chez des adultes en dépression montrent de bons résultats, qui restent toutefois à confirmer. « Le mindfulness a pour objectif de renforcer nos capacités à mettre en place des systèmes de régulation des émotions pour ne pas tomber dans la dysthymie ou la dépression ; encore faut-il avoir suffisamment de ressources pour suivre ce type de programmes », insiste le chercheur.
Carine Maillard
Coup d'oeil sur la bio de Pierre Philippot