Des chercheurs de l’UCL ont découvert qu’une substance dérivée de l’écorce de grenade, l’urolithine B, freine la fonte de la masse musculaire. Une découverte qui pourrait ouvrir la voie à un nouveau traitement.
Le muscle est le tissu le plus abondant dans le corps humain. Il constitue environ 45 % d’un homme jeune en bonne santé et 35 à 40 % d’une femme. « Ce sont les muscles qui nous permettent de nous déplacer, de maintenir une posture debout ou assise ou encore de respirer », rappelle le Pr Marc Francaux, responsable du Laboratoire de physiologie de l’exercice de l’UCL (1). « Les muscles sont aussi les plus gros consommateurs de sucres et de graisses de l’organisme, surtout pendant un exercice physique. Ils jouent donc un rôle important dans le métabolisme, notamment dans la glycémie. » En cas de fonte importante de la masse musculaire, ces différentes fonctions peuvent être altérées.
Quand les muscles se régénèrent… ou pas !
Les muscles se renouvellement constamment. « À tout moment, un système moléculaire dans le muscle synthétise et dégrade les protéines musculaires », explique le Pr Francaux. « Ce système est comme une entreprise du bâtiment, avec une équipe de démolition (dégradation) et une équipe de production (synthèse) des briques (protéines) musculaires. Tant que le système est équilibré, tout va bien, la masse musculaire est stable. Mais en cas de déséquilibre entre synthèse et dégradation, les muscles commencent à “fondre”. »
Quand l’âge altère la synthèse musculaire
Certains évènements – cancers, immobilisation prolongée, etc. – augmentent la vitesse ou le volume de dégradation musculaire. D’autres facteurs, comme un régime alimentaire pauvre en protéines ou l’âge, affectent plutôt la synthèse. « En vieillissant, le corps répond moins bien aux stimuli (2) qui activent la synthèse musculaire », précise le Pr Francaux. « Voilà pourquoi les phénomènes de fonte musculaire sont plus fréquents, plus préoccupants et plus difficilement “récupérables” chez les personnes âgées. Or, un sénior moins musclé, c’est un sénior moins mobile et, au final, moins autonome. D’où l’intérêt de faire du sport tout au long de la vie ! »
Quelles stratégies contre la fonte musculaire ?
Il existe 3 stratégies pour prévenir, limiter, voire empêcher la fonte musculaire :
- Certains médicaments, comme les stéroïdes, peuvent stimuler la synthèse ou bloquer la dégradation musculaire. Problème : leurs effets secondaires sont souvent supérieurs à leurs bénéfices.
- L’exercice physique active la synthèse musculaire. La stratégie a toutefois ses limites, notamment chez les patients hospitalisés.
- Certains acides aminés issus de l’alimentation peuvent booster la synthèse des protéines musculaires. Exemples : la leucine (présente dans le petit lait et le blanc d’œuf), certains polyphénols, etc.
C’est en étudiant l’un de ces polyphénols que les chercheurs de l’UCL ont fait une découverte surprenante.
La bonne surprise de l’urolithine B
L’acide éllagique est un polyphénol connu pour ses vertus anti-inflammatoires et antioxidantes. On le trouve dans plusieurs fruits et légumes. L’écorce de grenade en contient particulièrement. « Mais l’acide éllagique ne peut être absorbé tel quel par notre organisme », explique le Pr Francaux. « Quand il arrive dans notre intestin, certaines bactéries de notre microbiote le transforment en urolithine (A, B, C ou D) qui, elle, est assimilée et pénètre dans le sang. »
Alors qu’ils étudiaient les propriétés anti-inflammatoires et antioxydantes des urolithines A et B, les chercheurs de l’UCL ont découvert, par hasard, que cette dernière avait aussi un effet protecteur sur les muscles. « Les cellules musculaires en culture qui étaient en contact avec l’urolithine B étaient devenues plus grosses que les autres ! Nous avons voulu comprendre pourquoi. »
Une étude in vitro et in vivo
Dans un premier temps, les chercheurs ont étudié la substance in vitro. L’urolithine B a un double effet : elle active la synthèse des protéines musculaires tout en freinant leur dégradation.
Dans un second temps, les chercheurs ont étudié l’effet de l’urolithine B sur des souris. « Celles qui en recevaient ont vu leurs muscles se développer davantage », explique le Pr Francaux. « Nous avons aussi administré l’urolithine B à des souris qui, suite à la coupure du nerf sciatique, avaient une patte paralysée. Ce qui entraine une fonte musculaire dans cette patte. Résultat : avec l’urolithine B, les muscles ont fondu 20 à 30 % moins vite et en quantité moindre. »
A quand un traitement ?
Cette étude vient d’être publiée (3). Elle ouvre d’intéressantes perspectives. Car si l’effet de l’urolithine B se confirmait chez l’homme – ce qui doit encore être démontré –, cela pourrait, à terme, déboucher sur un nouveau traitement contre la fonte musculaire. Un complément alimentaire à base d’écorce de grenade hautement concentré, par exemple. Cela dit, plusieurs points doivent encore être creusés. « Il faudrait d’abord s’assurer de l’innocuité l’urolithine B sur l’homme et rechercher d’éventuels effets secondaires (un effet dopant, par exemple). Se pose aussi une question de métabolisme : est-ce que tout le monde dispose des bactéries intestinales nécessaires à la métabolisation de l’acide éllagique en urolithine B ? Enfin, il faudrait déterminer la dose d’acide éllagique à absorber pour que le patient en retire un vrai bénéfice au niveau musculaire. »
Bref, aussi prometteuse soit-elle, la découverte des vertus de l’urolithine B mérite des recherches supplémentaires !
Candice Leblanc
Notes
(1) Le Laboratoire de physiologie de l’exercice fait partie du pôle Louvain4Nutrition.
(2) La synthèse musculaire est activée et boostée par des stimuli nutritionnels, hormonaux et par l’exercice physique.
(3) M. Francaux et al., « Urolithin B, a newly identified regulator of skeletal muscle mass » in Journal of Cachexia, Sarcopenia and Muscle, 2017.
Coup d'oeil sur la bio de Marc Francaux
1984 Licence en éducation physique à l’UCL
1988-93 Responsable du département scientifique du Comité olympique et interfédéral belge (COIB)
1990 Doctorat en physiologie de l’exercice à l’UCL
1993 Académique à l’UCL, actuellement professeur ordinaire
2002-2005 Président du département d’éducation physique et kinésithérapie et réadaptation de l’UCL
Depuis 2000 Membre du Groupe international de recherche en biochimie de l’exercice. Actuellement leader du groupe
Depuis 2000 Membre fondateur du Centre d’aide à la performance sportive (CAPS), actuellement vice-président
Depuis 2006 Responsable du Laboratoire de physiologie de l’exercice de l’UCL
Depuis 2014 Pro-recteur aux affaires régionales de l’UCL
Les premières recherches sur l’urolithine B du Pr Francaux ont été principalement financées par la Région wallonne et l’entreprise Procell.