Les polars font partie des meilleures ventes en librairie, et les séries télévisées reposant sur des équipes de policiers menant des enquêtes sont légion. Mais vous qui êtes fans des « policiers », avez-vous jamais cherché à comprendre les mécanismes psychologiques qui régissent les détectives pour résoudre des affaires ? C’est ce qu’a fait le Pr Jacques-Philippe Leyens, dans un ouvrage très original. (*)
C’est une recherche très originale qu’a menée le Pr Leyens, qui a enseigné la psychologie sociale à l'Université catholique de Louvain et dans d’autres universités européennes et américaines. Dans son dernier ouvrage, bien loin des autres thèmes abordés dans les précédents, comme le racisme, la psychologie sociale ou encore les rapports de domination, il a cherché à comprendre les mécanismes psychologiques entrant en ligne de compte dans la résolution des énigmes par des détectives de fiction. Car il existe différentes manières d’arriver à dénouer une intrigue. Mais comment en est-il arrivé à traiter de ce sujet ? « Lors de la conférence inaugurale de la Chaire Franqui à l’ULg, j’avais présenté la psychologie en parallèle avec le travail de détectives connus. Cette comparaison est toujours restée nichée quelque part dans mon esprit. Aussi, lorsque j’ai pris ma retraite, j’ai eu envie d’écrire sur ce thème mais en renversant la question. Je voulais présenter les détectives par des extraits de romans en montrant l’apport de leur personnalité, de leur mémoire, de leur intuition dans leurs enquêtes. Je voulais montrer, d’un point de vue psychologique, les forces et les faiblesses des réflexions menant à la résolution », sourit-il.
Huit détectives sous la loupe
Pas question donc de trouver dans son ouvrage une critique littéraire quant au style des auteurs, ni même une analyse de la valeur des intrigues. « D’autres le font déjà très bien. Moi, je veux comprendre la personnalité des détectives ou policiers de fiction. J’ai choisi de manière très subjective huit personnages principaux et récurrents bien connus parce qu’ils sont incontournables, qu’ils ont une méthode très personnelle… ou parce que je les affectionne tout particulièrement : Maigret (de Simenon), Miss Marple et Hercule Poirot (d’Agatha Christie), Adam Dalgliesh (de PD James), Montalbano (d’Andrea Camilleri), Sherlock Holmes (de Sir Arthur Conan Doyle), Thomas Linley (d’Elizabeth George) et l’inspecteur Reginald Wexford (de Ruth Rendell) », précise le psychologue.
Ce qui l’a amusé, c’est de voir que les stratégies de chaque détective ou policier sont non seulement infaillibles, mais surtout présentée comme exceptionnelles. Pourtant, elles sont bien différentes. A l’image des personnalités de tous ces héros. « Prenez par exemple Maigret, mon préféré : il est plus sensible aux atmosphères, et plus intéressé par le mobile du crime que par son auteur. Par contre, Sherlock Holmes que l’on présente comme le champion de la déduction, fait de l’induction : sans théorie, il part des faits pour arriver à démêler l’intrigue. On pourrait le rapprocher d’Hercule Poirot, qui résout ses affaires par des déductions, mais avec un petit plus qui est sa mémoire exceptionnelle des détails. L’autre personnage récurrent d’Agatha Christie, Miss Marple, se repose davantage sur les analogies et les prototypes : qu’est-ce qui ressort du groupe de l’entourage de la victime ? Concernant Wexford, il s’axe très fort sur la personnalité des gens qu’il rencontre, accorde beaucoup d’importance aux visages, aux intérieurs des gens. Montalbano est un latin : il réfléchit en fonction des faits et des émotions par rapport aux gens du Nord. Dalgliesh observe avant tout les comportements des suspects potentiels. Enfin, le dernier, Lynley, est intéressant par le binôme qu’il forme avec le Sergent Barbara Havers, qui est à l’opposé de lui, et qui marque la lutte des classes sociales : Lynley a des intuitions qui lui sont soufflées par la personnalité des suspects, Havers, plus rationnelle, les confirme… »
Des failles psychologiques
Miss Marple n’est pas le personnage préféré du Pr Leyens : « C’est à mon avis le personnage le plus faible, qui montre le plus de failles dans son raisonnement psychologique. C’est aussi une obsédée du classisme anglais, ce qui en fait pour moi une raciste. Elle a des réflexions étranges, même si Agatha Christie parvient toujours à établir un lien, que je ne perçois pas toujours, personnellement. Contrairement aux autres détectives ou policiers, je ne peux pas reprendre un morceau d’intrigue pour démontrer le cheminement du raisonnement. »
C’est en effet ce qui fascine notre chercheur : les stratégies plausibles, mais aussi les failles psychologiques de ces huit héros. « Se baser uniquement sur les personnalités des victimes ou des tueurs est en effet très controversé par les psychologues », précise le chercheur. Pourtant, c’est le fond de commerce de bon nombre d’ouvrages policiers, voire de séries policières…
On pourrait évoquer bien d’autres détectives récurrents, mais tous ne sont pas aussi intéressants que ceux développés par le Pr Leyens. « Prenez par exemple Jean-Baptiste Adamsberg, de Fred Vargas : il ne fait que dessiner, attendre, marcher et la solution lui vient ! Ce n’est pas crédible… Ou Jane Austen de Stephanie Barron : son cheminement pour trouver le tueur est beaucoup trop compliqué pour l’ambition de mon livre! Les auteurs les plus forts en policier sont, selon moi, les Anglais et les Américains, qui caricaturent le classicisme. Cependant, il faut faire attention à ce que ce ne soit pas trop représentatif d’une époque ou d’une culture, comme Chester Hymes ou Harlan Cobben, très américains, ou qui laissent peu de place à la réflexion, et plus à l’action… »
Si la psychologie est ici mise au service de la fiction, comme le dit très bien le Pr Leyens : « Il faut être psychologue pour écrire un tel ouvrage, mais pas pour le lire… » Ce livre est en effet très accessible et compréhensible pour tous les amateurs du genre policier qui verront les héros sous un jour nouveau !
Carine Maillard
* Pour obtenir le livre du Pr Jacques-Philippe Leyens : « Psycho Polar. Détectives de fiction et vrais psychologues », aux Presses universitaires de Louvain, 2016, 168p. http://pul.uclouvain.be/fr/livre/?GCOI=29303100943990&fa=author&person_id=6201