Les chercheurs de l’UCL ont découvert que les macrolides, antibiotiques fréquemment prescrits aux personnes atteintes de mucoviscidose, favorisaient la résistance de la bactérie Pseudomonas aeruginosa. Une découverte qui inquiète.
Pseudomonas aeruginosa est une bactérie très commune, que l’on trouve un peu partout dans la nature. Pour les gens en bonne santé, elle est inoffensive, « mais c’est une bactérie opportuniste », explique le Pr Françoise Van Bambeke, chercheuse FNRS au Louvain Drug Research Institute (LDRI). « C’est-à-dire qu’elle peut provoquer des infections urinaires, respiratoires ou postopératoires chez les personnes dont le système immunitaire est affaibli. » La bactérie est d’ailleurs de plus en plus en cause dans les infections nosocomiales. C’est d’autant plus problématique qu’elle devient alors (très) résistante aux antibiotiques.
Macrolides et mucoviscidose
De leur côté, les macrolides sont une classe d’antibiotiques massivement prescrits aux personnes atteintes de mucoviscidose. Moins pour leur action antibiotique proprement dite que pour leur effet anti-inflammatoire. « À cause de la maladie, les poumons des patients atteints de mucoviscidose sont presque constamment enflammés », rappelle le Pr Van Bambeke. « L’inflammation altère les tissus concernés, ce qui les rend encore plus vulnérables aux infections. Les macrolides agissent en diminuant la production de médiateurs de l’inflammation par les cellules immunitaires. Ce qui finit par diminuer la fréquence et la sévérité des infections chez ces patients et préserve leur fonction respiratoire à plus long terme. » En Belgique, plus de 40 % des personnes atteintes de mucoviscidose reçoivent donc des macrolides de façon chronique (1).
In vitro Vs. vie « réelle »
On a longtemps cru que les macrolides n’avaient pas d’effet sur Pseudomonas aeruginosa. En laboratoire, les chercheurs avaient constaté que la bactérie ne réagissait pas à ces antibiotiques, car ceux-ci ne traversaient pas sa membrane. « Or, il y a une différence entre un milieu de culture de laboratoire traditionnel, calibré pour que la bactérie prolifère au maximum, et l’environnement réel et hétérogène des corps humains », explique le Pr Van Bambeke. « Nous avons découvert qu’en mettant cette bactérie dans du sérum humain, liquide qui humidifie nos poumons ou le milieu utilisé en laboratoire pour cultiver des cellules humaines, Pseudomonas doit s’adapter pour absorber les nutriments dont elle a besoin pour survivre. Comme elle se trouve dans un environnement moins favorable, sa membrane devient plus perméable… et elle devient plus sensible aux macrolides. » (2). Ce test – mettre Pseudomonas et les macrolides dans du sérum humain – a permis à l’équipe du Pr Van Bambeke de faire une autre découverte.
Quand Pseudomonas fait de la résistance
Qui dit sensibilité aux antibiotiques dit risque d’apparition de résistance. Muhammad-Hariri Mustafa, un doctorant du LDRI, a donc examiné une collection de Pseudomonas aeruginosa. Soit 333 échantillons de glaires provenant de patients atteints de la mucoviscidose. Résultat : dans 40 % des cas, la bactérie avait muté et développé un mécanisme inédit de défense aux macrolides. Plus interpellant : cette mutation était présente chez la moitié des patients qui avaient reçu des macrolides… contre un quart chez ceux qui n’en avaient pas pris (3). Ce qui permet de conclure que cette antibiothérapie augmente nettement le risque de faire muter Pseudomonas.
Une découverte qui pose question(s)
Selon certains spécialistes (4), cette découverte remet sérieusement en question le traitement de la mucoviscidose par les macrolides. À court et moyen terme, cette stratégie thérapeutique améliore la santé des patients. Mais à long terme, le jeu en vaut-il la chandelle ? Ne vaudrait-il pas mieux recourir à d’autres anti-inflammatoires ?
Cette découverte pose aussi d’autres questions. Par exemple, combien de temps faut-il à Pseudomonas pour développer une résistance aux macrolides ? Une même adaptation peut-elle s’observer pour d’autres espèces bactériennes, d’autres pathologies ou d’autres antibiotiques ? Dans quelle mesure des bactéries potentiellement pathogènes pour l’homme se comportent-elles différemment face aux antibiotiques selon qu’elles se trouvent dans un milieu de culture in vitro traditionnel ou dans le corps humain ? À l’heure où l’ensemble de la communauté scientifique s’inquiète des bactéries (multi)résistantes, ces questions méritent certainement d’être étudiées.
Candice Leblanc
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Notes:
(1) D’après le registre européen des personnes atteintes de mucoviscidose, au moins 42 % des patients belges recevaient des macrolides de façon chronique en Belgique en 2013.
(2) Cette découverte avait fait l’objet d’une publication en 2012 : J.M. Buyck et al. « Increased susceptibility of Pseudomonas aeruginosa to macrolides and ketolides in eukaryotic cell culture media and biological fluids (serum, bronchoalveolar lavage) by decreased expression of OprM (efflux impairment) and increased outer membrane permeability », Clin Infect Dis, 2012 ;55 :534-542.
(3) M.-H. Mustafa et al., « Acquired resistance to macrolides in Pseudomonas Aeruginosa from cystic fibrosis patients », Eur Respir J, 2017 ;49 : 1601847.
(4) Voir le commentaire de James D. Chalmers sur http://www.facm.ucl.ac.be/Full-texts-FACM/Chalmers-commentary-ERJ-2017.pdf
Coup d'oeil sur la bio de Françoise Van Bambeke
1991 Diplôme de pharmacie à l’Université catholique de Louvain (UCL)
1995 Doctorat en sciences pharmaceutiques à l’UCL
1997 Postdoctorat à l’Unité des agents antibactériens de l’Institut Pasteur, Paris
1997 Prix de la Belgian society for infectiology and infectious diseases
2000 Chercheuse qualifiée du FNRS
2005 Agrégée de l’enseignement supérieur (UCL)
2006 Maître de recherches du FNRS
Depuis 2008 Professeure de pharmacologie à l’UCL
Depuis 2010 Experte auprès du Comité national belge des antibiotiques
Depuis 2012 Secrétaire scientifique de l’International Society for anti-infective pharmacology
2013 Prix scientifique en infectiologie de l’AstraZeneca Foundation
Depuis 2016 Vice-présidente du Louvain Drug Research Institute
Depuis 2017 Directrice de recherches du FNRS
Les recherches du Pr Van Bambeke sont principalement financées par le FNRS, les Régions wallonne et bruxelloise et les pôles d’attraction interuniversitaire. La recherche de M.-H. Mustafa a été entièrement financée par InnovIris (Région de Bruxelles-Capitale).