Le format de compression JPEG a plus de 25 ans. Un âge canonique à l’heure du numérique. Un chercheur et une spin-off de l’UCL ont imaginé le standard de compression de demain : JPEG XS.
Depuis 25 ans, le format de compression d’images JPEG s’est généralisé à toute la planète. Ce format de stockage numérique permet de compresser les images via un algorithme standardisé et donc partageable entre tous les utilisateurs. Le but : réduire la place occupée sur les disques durs et bandes passantes internet.
« D’une manière générale, la compression d’image et de vidéo est un sujet de recherche investigué depuis longtemps, explique Antonin Descampe chercheur et chargé de cours à l’ « Institute of Information and Communication Technologies, Electronics and Applied Mathematics » (ICTEAM) de l’UCL et cofondateur de la spin-off universitaire « IntoPIX ». On pourrait croire qu’il n’est plus nécessaire de chercher à compresser davantage les documents numériques, puisque les réseaux sont aujourd’hui plus larges et les disques durs plus spacieux. Pourtant, l’augmentation de la taille des fichiers va de pair avec ces évolutions. Là où auparavant, un DVD contenait des images d’une résolution en dessous de mille par mille pixels, nous sommes aujourd’hui passés à la haute définition (HD, 1920 x 1080 pixels). On voit de plus en plus de téléviseurs « 4K » (environ 4000 x 2000 pixels) au quotidien, et on parle maintenant de la « 8K » (environ 8000 x 4000 pixels). »
Trouver le « bon compromis »
Malgré le perfectionnement des infrastructures de partage, images et vidéos ont donc de plus en plus besoin de place. Cette évolution a créé un besoin évident : celui d’inventer un nouveau standard de compression. « L’objectif de la recherche était de trouver une norme de compression à la fois peu complexe, pouvant passer via les canaux actuels, et avec une qualité "visuellement sans perte", contextualise le chercheur. La compression d’images implique toujours une certaine perte de qualité. Mais le but de ces normes est de trouver un compromis entre d’une part, l’efficacité de compression, c’est-à-dire jusqu’à combien on peut compresser tout en garantissant un niveau de qualité suffisant, et d’autre part, la complexité de l’algorithme qui impacte directement le coût de l’implémentation de cette norme. » En effet, cet algorithme doit ensuite être concrètement implémenté dans des circuits imprimés. Or, plus l’algorithme est complexe et plus ces circuits coûtent chers.
Le bon compromis, c’est « IntoPIX », une spin-off de l’UCL qui l’a trouvé il y a trois ans. « L’UCL a toujours été active dans les comités de standardisation, rappelle Antonin Descampe. Mais dans ce cas, nous sommes au premier plan ». Ce jeune chercheur est aussi le cofondateur de la spin-off, créée en 2006 sur la base de travaux de recherche mené au sein du groupe PILab (www.pilab.be), dirigé par Benoît Macq, professeur en ingénierie électrique à l’Ecole polytechnique de Louvain. Les membres d’ « IntoPIX » ont planché sur un algorithme à faible taux de compression. Comprendre : un algorithme permettant de compresser des images de manière légère, sans perte de qualité visuelle et pouvant utiliser les canaux existants dans le but de minimiser les coûts d’implémentation. C’est la naissance du JPEG XS. « Lorsque nous avons mis en place l’algorithme de JPEG XS, nous étions convaincus qu’il pouvait devenir un standard, s’enthousiasme le chercheur. Trois ans après l’avoir soumis au comité de l’ISO, l’évaluation de la qualité de cette norme vient de se terminer. JPEG XS devrait normalement devenir un standard international début 2019. »
De nombreux domaines sont intéressés par cette norme, le JPEG XS permettant de transporter quatre à dix fois plus d’informations que si elles étaient non compressées sur un canal donné. Le secteur spatial s’y intéresse particulièrement : la possibilité de transporter une quantité d’informations de qualité supérieure, sur les mêmes canaux déjà existant et donc avec des coûts négligeables, est très prometteur. Mais pas seulement : la production vidéo d’événements en « live », les applications de réalité virtuelle ou de réalité augmentée, l’industrie automobile (les voitures étant équipées d’un nombre croissant de capteurs vidéo, les fabricants d’appareils photos ou de caméras…
Par ailleurs, cette norme est d’ores et déjà utilisée dans des projets de recherche en cours au sein du groupe de recherche PILab, notamment dans le domaine de l’optimisation de la consommation des circuits de compression vidéo ou bien dans celui des caméras miniatures sécurisées à destination des drones comme…de nos voitures.
Entretien
Par quel processus êtes-vous passé pour faire valider l’existence de cette nouvelle norme à l’international ?
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, « JPEG » est le nom d’un groupe d’experts qui se réunit sous l’égide de l’ISO, l’organisation internationale de standardisation. Ce « Comité JPEG » existe depuis une trentaine d’années et se réunit trois ou quatre fois par an pour travailler sur les évolutions de la norme. Ce standard a depuis eu un succès énorme : des millions d’images au format JPEG s’échangent aujourd’hui sur internet, preuve du succès de ce standard. Mais les besoins peuvent évoluer, les applications changer…L’internet d’il y a 25 ans n’est pas celui qu’on trouve aujourd’hui. Et dans le cas qui nous occupe, JPEG XS, on a identifié un besoin pour une nouvelle norme de compression d’images qu’on a fini par appeler JPEG XS.
La procédure de validation prend beaucoup de temps. Un moment particulièrement intense de celle-ci a été le meeting que nous avons eu à Chengdu, en Chine, en octobre 2016. C’est le meeting au cours duquel nous devions choisir parmi les six propositions de technologie laquelle serait sélectionnée pour former la base du futur standard JPEG XS. Au bout de trois jours de discussion intense autour des résultats d’évaluation des différentes propositions, quel soulagement et quelle fierté cela a été de voir le choix se porter sur la technologie proposée par intoPIX, la « petite » spin-off de l’UCL qui s’immisçait de ce fait dans la cour des grands !
Bientôt n’utiliserons-nous plus que le JPEG XS ?
Non : l’objectif de la norme JPEG XS n’est pas de remplacer le JPEG ! Remplacer une norme à ce point disséminée, intégrée à tous les appareils électroniques du monde entier n’est ni envisageable, ni souhaitable. C’est plutôt sur des domaines bien précis que nous voulons intervenir. Particulièrement dans les phases de transition : plutôt que de demander aux gens de remplacer toute leur infrastructure parce que la vidéo passe de la 4K à la 8K et qu’elles ne peuvent plus le supporter physiquement, pourquoi ne pas proposer une norme qui compresse très légèrement, sans perte visuelle, permettant de garder les mêmes infrastructures actuelles ? Remplacer tout un réseau qui supporte de la HD pour qu’il accepte de la 4K est extrêmement onéreux. JPEG XS doit être vu comme un facilitateur, qui sera amené à être utilisé régulièrement lors des mutations du marché.
Coup d'oeil sur la bio d'Antonin Descampe
Antonin Descampe est né à Bruxelles en 1979. Il reçoit son diplôme d’ingénieur en 2003 et poursuit ses études supérieures à l’UCL. En 2006, il co-fonde la spin-off IntoPIX avec 4 autres ingénieurs : Gaël Rouvroy, Jean-François Nivart, François-Xavier Standaert et François-Olivier Devaux. Cette entreprise se spécialise dans la compression d’images et la sécurité. En 2008, il obtient son doctorat sur une implémentation hardware de la norme JPEG 2000 et son utilisation pour la recherche d’images dans de grandes bases de données. Globalement, ses principaux centres de recherche sont la compression, image comme vidéo (JPEG 2000, JPEG XS, HEVC). Il gère de surcroît le projet OpenJPEG, un logiciel « opensource » de référence pour JPEG 2000. En tant que chargé de cours invité à la Faculté des Sciences économiques, sociales, des sciences politiques et de communication (ESPO) à l’UCL, Antonin Descampe donne un cours sur l’émergence des nouvelles technologies et leurs applications.