De manière générale, la linguistique s’intéresse au fonctionnement du langage, à son organisation, à ses propriétés et à ses tendances. Les points de vue varient en fonction du phénomène linguistique que l'on désire explorer ou du domaine qu'on croise en explorant le langage (on pourrait dire les relations entre la linguistique et les autres domaines de la connaissance).
Prenons le mot ‘étudiant’ pour comprendre sous quelle loupe les linguistes peuvent l’observer.
Mmmh… il paraît qu’on change de langue tout de suite !
[etydjã]
Voici ce qu’un linguiste verrait en phonologie ou en phonétique de notre ‘étudiant’ : sa transcription phonétique. Avec une petite nuance néanmoins importante pour différencier les intérêts de ces deux disciplines : en phonétique, le linguiste est intéressé par la détection des sons au moment de leur production; en phonologie, il s’intéresse à la valeur que chaque son acquiert ainsi qu’aux modalités d’emploi et aux contraintes qui les soutendent.
‘étudiant’ est composé d’une racine ‘étudi-’ (la partie "invariable") ainsi que d’un suffixe (les deux ou trois lettres en fin de mots, d'habitude) flexionnel (c’est-à-dire qui rentre dans une flexion, à savoir dans une liste fermée d’éléments remplissant des fonctions particulières) ‘-ant’, qui indique un participe présent.
Voilà un bref exemple d’étude en morphologie qui, en général, s’intéresse à la structure interne des mots (simples ou composés) et à la contribution que ses sous-parties offrent au sens « global » du mot.
‘être en train d’étudier’ ou ‘être humain qui étudie’ (ou qui est censé étudier...). Quel sens adopter ? Quel et le sens de ce mot ?
La sémantique se pose en général ce problème : étudier le sens (ou les sens) du langage, soit en ses parties minimales, comme les ‘mots’, soit dans une suite de parties minimales du langage (des ‘phrases’ ou des ‘textes’).
Mais qu’est-ce qu’un mot ?! Figurez-vous qu’on n'a pas encore trouvé UNE définition…
En feuilletant un dictionnaire, on trouve difficilement une définition reprenant le sens ‘être en train d’étudier’. On aura plutôt une entrée (ou vedette) en gras et en lettres capitales qui donne une définition du deuxième sens. Elle sera enrichie d’autres informations, comme sa transcription phonétique, le rôle du mot décrit et ses particularités d'emploi. Voici ce que le Petit Robert (électronique) en dit :
étudiant, iante [etydjã, jãt] n. et adj.
• XIIIe, en concurrence avec écolier jusqu'à la fin XVIIe; fém. 1789, rare av. fin XIXe; de étudier
♦ Personne qui fait des études supérieures et suit les cours d'une université, d'une grande école.
Étudiant en lettres, en médecine (⇒ fam. carabin). Il est étudiant en première année. Carte d'étudiant. Les étudiants de la faculté des sciences. Union nationale des étudiants de France (U. N. E. F.). Sa fille est encore étudiante. Restaurant, logement des étudiants. ⇒ universitaire.
◊ Adj. (1966) La vie étudiante. ⇒ estudiantin. Un mouvement étudiant, d'étudiants.
La lexicologie réfléchit aux principes pour le traitement systématique des unités minimales du langage : les mots. La lexicographie concrétise ces réflexions dans des répertoires de mots, comme par exemple les dictionnaires.
On aurait vite compris le sens de notre mot s’il était entouré par… d’autres mots. Dans la phrase :
En étudiant, j’ai appris plein de choses.
on aurait préféré le sens ‘être en train d’étudier’. Pourtant dans la phrase :
L’étudiant de linguistique est de par sa nature curieux et talentueux.
on aurait sans hésitation préféré le sens ‘être humain qui étudie’ (surtout si on est ou a été étudiant en linguistique !). Mais pourquoi ?
On nous a appris que la combinaison ‘en + quelque chose qui se termine par -ant’ implique qu'on a affaire à un verbe (au gérondif, qui plus est), non pas à un nom. Et on nous a appris également qu'un nom, d'habitude, peut être précédé par un article, ce qui est le cas de notre deuxième exemple.
La syntaxe s’occupe de décrire ces combinaisons (plus ou moins) régulières du langage et de classer les mots suivant leurs combinaisons.
Prenons ce petit extrait tiré de la page d’accueil destinée aux étudiants de l’UCL :
Etre étudiant c’est apprendre, engranger des connaissances,... mais c’est aussi savoir profiter de ces années privilégiées pour réussir « sa vie d’étudiant » : rencontrer de multiples personnes (étudiants, professionnels, enseignants, spécialistes,…), se créer un « réseau », vivre de nombreuses expériences qu’elles soient culturelles, sportives, internationales, intellectuelles ou festives,…
Laissons de côté les mots en gras (surtout la raison pour laquelle ils sont en gras) et essayons de nous concentrer quelques instants sur le contenu qui se cache derrière ces mots, sur la progression du contenu et sur la manière de faire progresser le contenu.
Relisez le passage.
C'est sûr, vous avez envie de devenir étudiant, n'est-ce pas ?! En linguistique, sans aucun doute !
Le texte est écrit de telle manière qu'en fin de compte on devrait être convaincu que devenir étudiant est un rêve qui se réalise enfin, une occasion à ne pas rater !!
On est étudiant (et on le précise en début de texte, tout de suite on nous dit de quoi on parle - c'est l'introduction du topic) pour apprendre, MAIS (un connecteur de contraste) aussi pour rencontrer des gens et pour faire toute une SERIE (on énumère…) INFINIE (comme les points de suspension l’indiquent) d'expériences.
Les parties élémentaires du texte (quelles sont les parties élémentaires, finalement ?!) qui composent cet extrait sont orientées et agencées de façon à mettre en relief (et à cacher) des informations qu’on a envie de transmettre (ou de passer sous silence), et cela par une utilisation sage et précise de la langue.
Supposons que vous ayez envie de devenir étudiant de linguistique à l’UCL, et qu’en début d’année académique vous vous rendiez aux Halles Universitaires pour en savoir plus sur les démarches d’inscription. Il y a du monde (comme d’habitude) qui vient de partout. Vous vous asseyez à côté d’une jeune fille (ou d’un jeune garçon, selon vos goûts !) qui vous… intéresse. Mais elle vous casse : « Désolé, j’ai un chum. ». Bon, elle est évidemment québécoise (ce qui veut dire qu’il y a encore des chances… son mec va sûrement disparaître un jour ou l’autre) !
Après cet échec, c’est votre tour au secrétariat. Comment vous adresseriez-vous à la secrétaire qui vous accueille ?
a) « Toi, la belle au bureau : écoute-moi un peu… »
b) « Bonjour Madame. Pourriez-vous me donner les formulaires d'inscription pour la première année de master, s'il-vous-plaît ? »
c) « Votre excellence de l’administration et des arts de l’accueil, auriez-vous la grâce d’octroyer des formulaires d’inscription à votre humble futur soumis ? ».
‘Chum’ plutôt que ‘mec’ (ou ‘petit copain’). Un choix lexical précis, qui indique une origine géographique, sûrement accompagné d’un accent distinctif.
La secrétaire à l'accueil. Pourquoi pas un secrétaire ? C'est quoi ce stéréotype ?
La manière de s’adresser à quelqu’un et le choix linguistique qu’on fait en fonction de la personne à qui on parle et de l’endroit où on se trouve.
Trois exemples très génériques qui introduisent une partie du monde très vaste de la sociolinguistique, à savoir des implications qui interviennent quand le langage se confronte aux emplois sociaux et à leurs contextes.
Texte réalisé en collaboration avec Mario Marcon, étudiant LING2MA (2008-2009)