Anne Cauquelin [47min]
En 2007, Anne Cauquelin a tenu un séminaire à Louvain-la-Neuve sous le thème : Habiter les mondes possibles Nous éditons le fichier vidéo de la séance du 3 décembre 2007, où Anne Cauquelin met en rapport les questions du projet d'architecture avec son travail sur les mondes possibles/parallèles ; travail qui a pris la forme de l'ouvrage : "A l'angle des mondes possibles" publié aux PUF (collection Quadrige).
Voici l'argument général sous lequel Anne Cauquelin avait introduit son séminaire : "« L'habiter » est un thème rebattu, qui donne lieu à d'interminables gloses, avec dérives poétiques ou poïétiques, si ce n'est sémiotiques ou historiques. Mais ce n'est pas ainsi que j'envisage la question. Il s'agit de comprendre "habiter" comme la possibilité (ou non) de se reconnaître (et de quelle manière ?) dans un "monde", et en particulier dans un monde dont la structure nous est étrangère.
Nous construisons le monde où nous vivons, notamment par le langage, les usages, les traditions, et les différents filtres que nous utilisons pour appréhender l'environnement. C'est ainsi que nous captons l'étendue et le complexe temporel à travers les images que nous formons et les règles de cohérence que nous leur imposons. Cependant, même si nous sommes généralement conscients de la pluralité des cultures et donc de la pluralité des "mondes" que ces cultures entretiennent et dont elles vivent, nous ne percevons pas toujours la présence simultanée de ces mondes. Ceci est encore plus vrai des mondes "possibles", qui ne s'inscrivent pas dans des formes connues et restent suspendus à l'événement de leur apparition.
L'espace cybernétique pose la question de la simultanéité des mondes de manière insistante : le cyberespace et l'espace de "notre" monde (qualifié de réel) se superposent-ils? Sont-ils disjoints, bien que simultanés ? S'excluent-ils le temps d'un usage? Comment passons-nous de l'un à l'autre (pratique que nous effectuons quotidiennement)?
Cette réflexion sur les conditions du passage d'une sphère à l'autre et de ses modalités paraît indispensable. Comment, en effet occupons-nous ce cyberespace ? Lui avons-nous donné une ou des formes a priori - c'est-à-dire en dehors des règles de son usage - qui en permettent l'appréhension? Et en quoi le fait d'habiter cet espace - fut-ce temporairement - affecte-t-il la configuration spatio-temporelle qui gouverne notre perception du monde et nous fait croire à sa réalité? Déposons-nous une partie de notre attirail perceptif, conceptuel et affectif quand nous entrons dans le cyberespace? Ou bien gardons-nous cet appareillage intact tandis que nous nous accoutumons au nouveau dispositif? Vivons-nous la simultanéité ou la disjonction, la rupture ou la liaison?
Une réflexion sur les mondes parallèles, appelés aussi "mondes possibles", tant du point de vue de la logique que de la fiction textuelle - sans oublier ce que nous enseignent les problématiques de la physique quantique - peut nous aider à concevoir ce que signifie "habiter" un monde.
Autrement dit, nous aider à percevoir ce qui fait la différence entre l'existence et la réalité. En effet, les mondes fictifs existent, mais pour autant sont-ils réels? Quel sens prend le concept de "réalité" dans un monde possible? Si la réalité est relative à nos choix culturels a-t-elle encore le sens que nous lui prêtons : épaisseur, stabilité, évidence? Entre existence et réalité trouverait-on un entre-deux? Le "virtuel", dont la cyberculture fait grand usage, pourrait-il être pensé comme un entre-deux habitable?
En prenant comme point de départ la description d'un espace en tout point inventé mais entièrement naturalisé, c'est-à-dire devenu une "réalité" - le paysage - on tentera de dresser le portrait de cette autre invention non encore naturalisée, hésitant entre existence et réalité, qu'est le cyberespace. Et comment y « habiter » ?"