Les recherches menées à l’EDICA se concentrent sur une thématique générale et des projets plus spécifiques qui s’inscrivent dans cette thématique.
Thématique générale
La thématique générale de recherche de l’EDICA porte sur l’hypothèse d’un droit international des conflits armés comme régime normatif cohérent au sein de l’ordre juridique international. La recherche s’interroge plus particulièrement sur l’interaction entre les différentes branches de droit international applicable aux conflits armés.
La recherche émet et entend vérifier l’hypothèse d’un droit international des conflits armés comme régime normatif cohérent au sein de l’ordre juridique international, procédant d’un certain rapprochement entre les branches de droit international applicables à ces conflits. A cet égard, il est entendu, tout d’abord, que les branches de droit international considérées comprennent, outre le droit humanitaire, certaines branches également applicables en temps de paix, en particulier les droits de l’homme, le droit international pénal, le droit des réfugiés et le droit international de l’environnement ; ensuite, que la cohérence dudit régime est envisagée au départ d’une conception enrichie de la cohérence normative développée en théorie du droit ; enfin, que la notion de régime normatif renvoie à celle d’un système juridique « spécial » de droit international incluant des normes spécifiques à la fois primaires et secondaires.
Cet objectif sera poursuivi en trois étapes, à savoir, premièrement, procéder à une théorisation des rapports « horizontaux » dont témoigne la pratique contemporaine entre le droit humanitaire et les autres branches de droit international pertinentes; deuxièmement, proposer, sur cette base, la construction « verticale » d’un droit international des conflits armés, permettant de formuler des solutions à des questions concrètes que soulève la pratique récente des conflits armés; et, troisièmement, cerner les règles secondaires spécifiques de ce régime normatif « spécial ».
De manière générale, si la recherche défend l’idée d’une harmonisation des branches de droit international applicables aux conflits armés en vue d’accroître la protection de la personne et des biens considérés comme essentiels, elle se distancie néanmoins de la tendance contemporaine qui prétend poursuivre ce même but mais soutient, pour ce faire, l’existence d’une convergence, le plus souvent « uniformisante », de ces branches sur la base d’un hypothétique principe commun d’humanité et d’une conception contestable de la cohérence.
Projets spécifiques
Plusieurs projets spécifiques menés par les doctorants de l’EDICA s’inscrivent dans la thématique générale. Ces projets portent sur
Le droit humanitaire et le droit international pénal constituent deux branches du droit international, applicables aux conflits armés. Ces deux branches sont caractérisées par une relation d’interdépendance forte : la mise en œuvre du droit humanitaire est principalement assurée par le droit international pénal tandis que ce dernier puise dans le droit humanitaire les éléments nécessaires à la définition des crimes de guerre qu’il a pour objectif de réprimer. Cette relation d’interdépendance ne va pas sans difficultés. Il en résulte en effet des influences normatives entre les deux branches qui semblent porter atteinte à leurs traits essentiels respectifs (nécessaire flexibilité s’agissant du droit humanitaire et caractère en principe restrictif s’agissant du droit international pénal), ce qui risque de les empêcher chacune de rencontrer les objectifs qui leur sont assignés.
La recherche entend examiner ces difficultés en analysant les sources, limites et évolutions de la relation d’interdépendance entre les deux branches. L’objectif final est de proposer des solutions visant à dépasser de telles difficultés. A cet égard, partant de l’hypothèse que le droit humanitaire et le droit international pénal doivent pouvoir s’articuler de manière cohérente dans la mesure où ils s’appliquent à une même réalité, celle des conflits armés, et que cette cohérence est nécessaire à une réglementation effective de cette réalité, la recherche entend envisager ces deux branches sur le mode d’une unité plurielle harmonisée. Elle recourra, pour ce faire, aux travaux de théorie du droit dont les mécanismes-clés permettent de rapprocher des régimes juridiques distincts tout en veillant à préserver les spécificités de chacun d’eux.
Les interventions étatiques étrangères contre un groupe armé organisé soulèvent de nombreuses questions au sujet du champ d’application du droit international humanitaire, tel que traditionnellement conçu. Une première interrogation réside dans la qualification à conférer à ce type de situations conflictuelles. La recherche s’attachera à démontrer que la qualification unique de conflit armé non international constitue la qualification la plus adéquate pour celles-ci. Elle proposera ensuite une taxinomie des conflits armés non internationaux extraterritoriaux. Elle distingue ainsi entre les conflits armés non internationaux extraterritorialisés (lorsque l’Etat étranger intervient dans un conflit armé purement interne préexistant en coordination avec l’Etat territorial) et les conflits armés non internationaux extraterritoriaux ab initio (lorsque l’Etat étranger intervient contre le groupe armé de façon totalement indépendante). La recherche appréhendera ce faisant les difficultés liées à l’applicabilité extraterritoriale ou multiterritoriale des textes conventionnels régissant la matière de même que les écueils propres au droit international humanitaire coutumier. Outre les problématiques de qualification et de droit applicable, les travaux menés s’intéressent à la portée géographique du droit humanitaire. La recherche plaide à cet égard pour une applicabilité déterritorialisée du droit des conflits armés non internationaux. Elle prendra position en faveur d’une applicabilité matériellement circonscrite en se fondant sur le concept clef de lien de belligérance. L’applicabilité matérielle dessine donc la géographie du conflit. Compte tenu des craintes exprimées par rapport à l’absence de délimitation territoriale per se du conflit, la recherche rencontrera ces inquiétudes en montrant que l’interaction normative avec d’autres branches du droit, à l’instar des droits de l’homme et du jus ad bellum, tempérera l’application du droit humanitaire.
La problématique de la privation de liberté dans un conflit armé non international (ci-après CANI) est liée au foisonnement contemporain de ce type de conflits à l’échelle mondiale et à l’inadaptation du droit international humanitaire (ci-après DIH) à réglementer tous les aspects de ces conflits. Cette augmentation des CANI a donné naissance à de nombreux défis pour le droit international humanitaire dont ceux portant sur le régime de détention. Quand l’on compare ou considère le régime juridique applicable au CANI par rapport au conflit armé international (ci-après CAI), on est déçu par l’absence de détails, de spécificités et la faiblesse d’un régime de régulation. Toute la problématique, dans le cadre de ces recherches, concerne donc le fondement juridique ainsi que les garanties procédurales susceptibles de justifier la privation de liberté des personnes qui participent aux hostilités dans un CANI étant donné que cela n’a pas été prévu comme tel par le droit international humanitaire applicable à de tels conflits. Or, comme le rappellent les principales conventions en droit de l’homme et la doctrine, le principe selon lequel « nul ne peut être privé arbitrairement de liberté » est de droit coutumier et s’applique tant aux CAI qu’aux CANI. Aussi, l’exigence d’une raison valable pour la privation de liberté concerne à la fois la raison initiale qui conduit à la privation de liberté et la poursuite de la détention. Dès lors une question émerge, sous quel fondement juridique peut-on détenir les personnes qui participent aux hostilités dans un CANI ?
Etant donné que le DIH conventionnel ne répond pas à cette question, nous tacherons d’analyser si ce fondement ne peut pas être implicitement inféré d’un tel silence. Sinon, le DIH coutumier consacre-t-il un fondement permettant de détenir les personnes qui participent aux hostilités dans les CANI ? Dans la négative, doit-on recourir au droit national ou des sources ad hoc pour justifier la détention des personnes dans les CANI ? Dans l’hypothèse où le droit national et/ou les sources ad hoc l’emportaient, se poserait sans doute le problème d’accommodation de ceux-ci au contexte de conflit armé. Plus particulièrement, le droit national étant essentiellement marqué par les droits de l’homme qui fournissent une meilleure garantie à la personne privée de liberté, et les Etats ayant la faculté de s’y soustraire par dérogation, cette protection doit être relativisée. Ainsi, il sera alors nécessaire de préciser le caractère implicitement indérogeable de certaines règles, notamment l’habeas corpus, protégeant les personnes contre la privation arbitraire de liberté et d’écarter d’emblée l’application des résultats de ces recherches aux groupes armés, puisque non seulement ils semblent juridiquement incapables de mettre en œuvre les exigences du droit international des droits de l’homme interdisant la privation arbitraire de liberté, mais ne disposent pas de moyens logistiques nécessaires pour ce faire. Néanmoins, on rappellera aussi le caractère indérogeable de certaines règles procédurales du DIH fournissant une garantie minimale de protection aux personnes privées de liberté dans les CANI. Ces normes sont opposables à toutes les parties au CANI.
De plus en plus de groupes formulent ou souscrivent à des engagements avec ou à l’attention de l’Etat contre lequel ils combattent (et/ou avec des Etats tiers, organisations internationales ainsi que le Comité international de la Croix-Rouge). Qu’il s’agisse des accords de paix ou de cessez-le-feu, des déclarations unilatérales, des codes de conduite ou des accords spéciaux conclus avec les groupes armés en vertu de l’article 3 commun aux Conventions de Genève, ces divers instruments n’ont fait l’objet que de peu de recherches jusqu’ici. Tant la rare doctrine qui s’est intéressée à la matière que la jurisprudence internationale sur le sujet peinent à identifier le régime juridique de ces textes et laissent par ailleurs de nombreuses questions sans réponse. La recherche proposée entend combler ce vide. Elle émet et entend vérifier l’hypothèse selon laquelle les engagements des groupes armés sont régis par des règles de droit international spécifiques, qui impliquent de considérer ces groupes comme possédant la capacité de créer du droit international et jouissant d’une (certaine) personnalité juridique internationale.
Pour évaluer cette hypothèse, la recherche procèdera en quatre temps. Tout d’abord, il conviendra de démontrer le ou les intérêt(s) juridique(s) de la reconnaissance d’une nature internationale à ces engagements. Ensuite, la recherche se penchera sur leur contenu normatif. Cette question est non seulement intéressante pour évaluer l’impact de ce contenu sur le droit commun des conflits armés mais également indispensable pour l’analyse des deux étapes suivantes à savoir, l’étude de ces engagements à la lumière de la théorie des sources, laquelle implique, à son tour, un examen de la théorie des sujets et, en particulier, la question d’une éventuelle capacité de créer du droit international (international law-making capacity) dans le chef des groupes armés ainsi que d’une personnalité juridique internationale qui en serait le réceptacle.